Royaume-Uni : opérations dangereuses en mer Noire

 Par Craig Murray - Arrêt sur info — 

©LPhot Ben Shread / BRITISH ROYAL/EPA/MAXPPP


Où s’arrêtera l’Occident dans ses efforts de harcèlement de la Russie et de la Chine ? Saura-t-il freiner ses provocations avant de déclencher une guerre, avec des conséquences incalculables ? Ces jours-ci, c’est le Royaume-Uni qui s’est livré à des manœuvres aussi dangereuses que futiles dans les eaux territoriales criméennes. Analyse en deux brefs articles mis à la suite l’un de l’autre.

Par Craig Murray
Paru le 23 juin 2021 sur le blog de l’auteur sous le titre Black Ops in the Black Sea

Il est parfois utile de rappeler des évidences. Le Royaume-Uni n’a pas de côte sur la mer Noire. Des navires de guerre britanniques ne sont pas en train d’infester la mer Noire dans une intention pacifique, et il n’y a aucune raison pour qu’ils pénètrent dans des eaux contestées à proximité des côtes de qui que ce soit. Il ne s’agit pas d’une question de liberté de navigation au sens de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Aucun navire de guerre britannique ne peut se diriger vers un endroit quelconque du Royaume-Uni, en vertu du droit de passage inoffensif, en ayant un besoin absolu de traverser les eaux territoriales de la Crimée. La mer Noire est connue pour être un cul-de-sac.

Il existe certainement un droit de passage vers le port ukrainien d’Odessa, mais cela ne nécessite en aucun cas de passer à proximité de la Crimée. Il ne s’agit donc pas d’un « passage inoffensif ». Il existe un droit de passage dans le Détroit de Kerch, que la Russie a jusqu’à présent respecté. La Russie a non seulement le droit, mais aussi le devoir de faire respecter les voies maritimes pour une navigation sûre dans le détroit, exactement comme le fait le Royaume-Uni au large de Douvres.

Je m’attends à ce que nous soyons confrontés à une nouvelle frénésie de russophobie. Je ferai d’autres commentaires lorsque j’aurai plus de détails sur la raison et l’endroit exact où la Russie a tiré des coups de semonce contre un destroyer britannique. Mais n’oubliez pas qu’il ne s’agissait pas de navires de guerre russes près des côtes britanniques, mais de navires de guerre britanniques dans une zone où ils n’ont rien à faire, si ce n’est plastronner de façon ridiculement cocardière.

Le Royaume-Uni doit abandonner ses illusions impériales. Envoyer des canonnières en Crimée est aussi fou que… par exemple, d’envoyer un porte-avions dans le but exprès de menacer les Chinois [*]. Certains voient dans cette activité une preuve du maintien du statut de grande puissance du Royaume-Uni. Je vois cela comme une preuve de folie.

Craig Murray

Notes de la traduction :

[*] Le 4 juin dernier, le Royaume-Uni a envoyé un porte-avions en mer de Chine méridionale pour des « exercices militaires ».


Actions bellicistes des Britanniques en mer Noire

Manchette de Sputnik hier, « La Défense russe a publié une vidéo de l’incident impliquant le destroyer britannique Defender qui a, selon Moscou, pénétré dans ses eaux territoriales au large de la Crimée. »

Craig Murray nous explique, entre autres, qu’un reporter de la BBC était à bord de ce destroyer britannique.

Paru sur Craig Murray.org sous le titre Warmongering British Actions in the Black Sea

L’embarquement d’un correspondant de la BBC sur le HMS Defender met à mal la prétention de la BBC à être autre chose qu’un organe de propagande d’État. Il montre aussi clairement que cet exercice de propagande visant à provoquer l’armée russe était calculé et délibéré. Cela a d’ailleurs été confirmé par le reportage télévisé du correspondant de la BBC hier soir, lorsqu’il a expliqué que l’itinéraire du HMS Defender « avait été approuvé aux plus hauts niveaux du gouvernement britannique ».

Le Premier ministre n’a pas l’habitude de s’intéresser aux positions précises des navires de guerre britanniques. C’était donc un acte délibéré de belligérance dangereuse.

La présence d’un correspondant de la BBC est plus qu’une question de politique. Elle a en effet des conséquences juridiques importantes. Il est clair que le HMS Defender ne peut pas prétendre avoir effectué un « passage inoffensif » dans les eaux territoriales criméennes, entre Odessa et la Géorgie. Je laisse pour l’instant de côté le fait qu’il n’est absolument pas nécessaire de naviguer à moins de 12 miles du cap Fiolent lors d’un tel passage, et que la voie maritime normale reste juste en dehors des eaux territoriales. Voyez vous-même la définition du passage inoffensif dans l’article 19 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer :

Très clairement, ce n’était pas un passage inoffensif. Il s’agissait certainement d’un acte de propagande au sens de l’article 2 (d), et tout aussi certainement d’un exercice de collecte d’informations sur les défenses militaires au sens de l’article 2 (c). Je dirais que c’est aussi 2 (a), une menace d’emploi de force.

Pour autant que je puisse l’établir, les Britanniques ne prétendent pas qu’ils étaient engagés dans un passage inoffensif, ce qui serait tout simplement absurde, mais qu’ils entraient dans les eaux territoriales de la Crimée à l’invitation du gouvernement ukrainien, et qu’ils considèrent la Crimée comme faisant partie du territoire de l’Ukraine, et les eaux territoriales de la Crimée comme des eaux territoriales ukrainiennes.

Je tiens à vous faire comprendre à quel point c’est insensé. La notion d’ « eaux territoriales » signifie que, sur le plan juridique, elle font partie intégrante d’un État et que l’ensemble du droit national de l’État s’applique dans ses eaux territoriales. Ce n’est pas le cas des zones économiques exclusives, qui sont beaucoup plus étendues (200 milles marins, soit 370,42 km), ou des plateaux continentaux [Un plateau continental est la zone côtière sous-marine d’un continent, NdT], parfois encore plus vaste, où la compétence juridique de l’État côtier ne s’applique qu’à des droits spécifiques sur certaines ressources marines ou minérales.

Image Ifremer

Permettez-moi de le dire autrement. Si quelqu’un est assassiné sur un navire à moins de douze milles nautiques de la côte, l’État côtier est compétent et sa loi s’applique. Si une personne est assassinée sur un navire à plus de douze milles de la côte, la juridiction et la loi de l’État du pavillon du navire s’appliquent, et non la loi de l’État côtier dans la zone économique exclusive duquel le navire se trouve.

En droit international, les eaux territoriales, sur douze milles, font autant partie de l’État que ses terres. Ainsi, faire naviguer un navire de guerre dans les eaux territoriales de la Crimée est exactement le même acte que de larguer un régiment de parachutistes sur Ukraine et de déclarer que vous le faites à l’invitation du gouvernement ukrainien. [1]

Il est incontestable que la Russie contrôle de facto la Crimée, indépendamment du soutien britannique à la revendication du gouvernement ukrainien sur la région. Il est également vrai que l’annexion de la Crimée par la Russie n’a pas été effectuée dans le respect du droit international. [2] Toutefois, il est peu probable, dans la pratique, que l’on puisse revenir en arrière, et la situation doit être résolue par un traité ou par la Cour internationale de justice. Dans l’intervalle, la position juridique du gouvernement britannique ne peut que considérer que la Russie est une « puissance d’occupation ». Il est impossible que la position juridique du gouvernement britannique soit que l’Ukraine exerce un « contrôle effectif » sur le territoire.

Nous demandons à voir l’avis juridique fourni par les conseillers juridiques du Foreign Office britannique. Il n’est tout simplement pas dans les habitudes du droit international d’ignorer l’existence d’une puissance d’occupation qui est un État reconnu, et d’agir avec des forces armées en se fondant sur l’autorité d’un gouvernement qui n’en a pas le contrôle effectif. La différence d’attitude des Britanniques à l’égard de la Russie, en tant que puissance d’occupation, et à l’égard d’Israël est révélatrice.

La légalité de l’action britannique est, au mieux, discutable. En termes de realpolitik, il s’agit d’une politique de la corde raide contre une puissance nucléaire et d’un effort supplémentaire pour intensifier la nouvelle guerre froide avec la Russie, au profit de l’armée, des services de sécurité et des entreprises d’armement, et au détriment de ceux qui ont besoin de dépenses publiques plus utiles sur le plan social. Il s’agit en outre d’un acte de démagogie chauvine à travers laquelle l’élite néolibérale distrait les masses, pendant que l’incroyable richesse des milliardaires continue de croître.

L’OTAN va bientôt commencer un exercice naval en mer Noire. Comme tous les États membres de l’OTAN ne sont pas aussi désaxés que Boris Johnson, il faut espérer qu’ils s’abstiendront de toute provocation supplémentaire. Je pense qu’ils ne peuvent pas être assez fous pour tenter d’intervenir en Ukraine par la force militaire, ou même par des menaces d’actions guerrières. Mais ensuite, je regarde Johnson et Biden, et je m’inquiète. Tout cela peut horriblement mal tourner.

Craign Murray

Craig Murray, un proche collaborateur de Wikileaks, est diplomate, historien et militant des droits de l’homme. Il a été ambassadeur du Royaume-Uni en Ouzbékistan. Il est actuellement en procès avec l’État britannique pour avoir dénoncé un complot contre le dirigeant écossais Alex Salmond.


Traduction et notes Corinne Autey-Roussel
Photo Ben Shread : le HMS Defender en mer Noire / Crown Copyright handout editorial use only/No sales

Notes de la traduction :

[1] Le 18 septembre 2020, le Royaume-Uni a procédé au largage de 200 parachutistes en Ukraine à l’invitation de son président. Le but en était, bien sûr, de faire une démonstration de force à l’adresse de la Russie.

[2] : Le « don » de la Crimée à l’Ukraine en 1954 par Khrouchtchev était probablement illégal, ce qui peut expliquer pourquoi l’affaire du rattachement de la Crimée à la Russie n’a toujours pas été portée devant la Cour internationale de justice. En effet, la Russie pourrait bien gagner le procès et garder la Crimée en toute légalité

Source: http://www.entelekheia.fr/2021/06/24/royaume-uni-operations-dangereuses-en-mer-noire/

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire