Par Cynthia Chung
Paru le 17 mars 2021 sur Strategic Culture
Dans la première partie de cette série, j’ai expliqué comment un stock massif d’armes américaines stockées à Okinawa, au Japon, qui devaient à l’origine être utilisées pour l’invasion américaine prévue du Japon, ont été retirées une fois que les deux bombes atomiques ont été larguées sur Hiroshima et Nagasaki.
Fletcher Prouty, chef des opérations spéciales pour les chefs d’état-major interarmées sous Kennedy et ancien colonel de l’armée de l’air américaine, explique dans son livre « The CIA, Vietnam and the Plot to Assassinate John F. Kennedy » que ces énormes cargaisons d’armes n’ont pas été renvoyées aux États-Unis, mais que la moitié a été transportée en Corée et l’autre au Vietnam.
Les implications de ce fait sont énormes.
Cela signifie que des préparatifs de la guerre froide étaient déjà en cours dès août 1945 et probablement bien avant, et que les deux régions choisies, la Corée et le Vietnam, ont été planifiées respectivement cinq ans et dix ans à l’avance, avant que les guerres réelles n’aient lieu.
Cela signifie que les récits officiels autour de la guerre de Corée et la guerre du Vietnam n’ont été écrits que pour créer une « réalité » à la guerre froide.
Il convient donc de se demander quelle est la véritable raison pour laquelle les Américains se sont engagés dans ces deux guerres brutales ? Pourquoi des figures de proue de l’élite américaine, dont beaucoup avaient refusé catégoriquement de participer à la lutte contre le fascisme pendant la Seconde Guerre mondiale, ont-elles été si rapidement convaincues que tout ce qui avait trait au communisme devait être détruit par leurs soins ?
Nous répondons à ces questions dans cette série intitulée « Les racines fascistes de la CIA ».
La CIA et le Pentagone : L’histoire de deux amants
Comme nous l’avons vu dans la première partie de cette série, la victoire d’Eisenhower-Nixon, en 1952, fut le point culminant d’années de stratégie politique menée par des courtiers républicains de Wall Street, et de nouveaux dirigeants au département d’État et à la CIA, Foster et Allen Dulles respectivement, ont été choisis. Ils allaient diriger les opérations internationales de la nation la plus puissante du monde.
C’est pour cette raison que l’élection présidentielle de 1952 est entrée dans l’histoire comme le triomphe de « l’élite au pouvoir ».
Toute la période allant du 12 avril 1945 à ce jour fatidique de l’élection peut être comprise comme la première étape du coup d’État américain. C’est particulièrement évident entre 1945 et 1949, lorsqu’un certain nombre de nouveaux textes législatifs ont été adoptés, réorganisant avec succès les départements au sein des États-Unis, de sorte que la plupart des décisions gouvernementales et militaires soient soumises à l’autorité de quelques hommes, beaucoup plus puissants que le président lui-même.
La loi sur la sécurité nationale de 1947, un de ces chevaux de Troie, est l’une des premières de ce nouveau type de législation et a conduit à la création de la Central Intelligence Agency, la plaçant sous la direction du Conseil de sécurité nationale.
Bien qu’elle n’autorise pas explicitement la CIA à mener des opérations secrètes, le paragraphe 102 était suffisamment vague pour permettre des abus. En décembre 1947 (moins de quatre mois après la création de la CIA), la nécessité perçue d’« endiguer le flot du communisme » en Europe occidentale – en particulier en Italie – par le biais d’une « guerre psychologique » ouverte et secrète, a mis le feu aux poudres et le NSC 4-A est né.
La NSC 4-A était une nouvelle directive couvrant « les opérations paramilitaires clandestines, ainsi que la guerre politique et économique ». Elle autorisait l’intervention de la CIA dans les élections italiennes d’avril 1948.
Il était entendu que l’armée américaine ne pouvait jouer aucun rôle « direct » dans les opérations secrètes, car cela irait à l’encontre de la possibilité de nier.
On s’attendait à ce que le Parti communiste italien, admiré pour avoir mené la lutte contre Mussolini, remporte les premières élections italiennes de l’après-guerre. Bien entendu, cela a été considéré comme intolérable sous le diktat du rideau de fer et des opérations secrètes américaines ont été déployées pour bloquer la victoire antifasciste. Le journaliste d’investigation Christopher Simpson écrit dans son livre « Blowback » qu’une partie substantielle de ce financement provenait de biens nazis capturés. Cette intervention, selon Simpson, a fait pencher la balance en faveur du parti chrétien-démocrate italien, qui cachait des milliers de fascistes dans ses rangs.
Quelques mois à peine après sa création, la CIA, qui était censée être un organe civil de collecte de renseignements du gouvernement, est devenue responsable d’opérations secrètes, notamment de « guerre psychologique ». On est loin de ce qui avait organisé les États-Unis avant la Seconde Guerre mondiale, et qui reposait sur une armée civile. Un tel mandat gouvernemental pour des opérations de cape et d’épée en temps de paix aurait été considéré comme impensable.
Mais c’est pourquoi le récit de la guerre froide était si impératif, puisque dans ce cauchemar paranoïaque et schizophrénique, on pensait que le monde ne serait jamais en paix tant qu’une partie importante de celui-ci n’aurait pas été anéantie. La guerre froide définissait un ennemi pixellisé, sous-défini et invisible à l’œil. L’ennemi était ce que vos supérieurs vous disaient être l’ennemi, et comme un métamorphe, il pouvait prendre la forme de n’importe qui, y compris votre voisin, votre collègue, votre partenaire… même le président.
Il y aurait toujours un ennemi, car il y aurait toujours des gens qui résisteraient à la Grande Stratégie.
La NSC 4-A fut remplacée par la NSC 10/2, approuvée par le président Truman le 18 juin 1948, qui crée l’Office of Policy Coordination (OPC). La NSC 10/2 est le premier document présidentiel qui spécifie un mécanisme d’approbation et de gestion des opérations secrètes, et également le premier dans lequel le terme « opérations secrètes » est défini.
De 1948 à 1950, l’OPC n’était pas sous le contrôle de la CIA, mais plutôt une opération renégate dirigée par Allen Dulles. L’OPC passe sous le contrôle de la CIA en octobre 1950, lorsque Walter Bedell Smith devient directeur de la Central Intelligence, et est rebaptisé Directorate of Plans.
Bien que la CIA soit strictement chargée des opérations secrètes, elle a souvent besoin de l’armée pour obtenir du personnel supplémentaire, des moyens de transport, des bases à l’étranger, des armes, des avions, des navires et toutes les autres choses que le ministère de la Défense possède en abondance. En réalité, les militaires, qu’ils le veuillent ou non, se retrouvaient pour toujours dans les bras de leur amante toxique, la CIA.
En 1992 Prouty écrivait :
« L’OPC et d’autres membres de la CIA étaient dissimulés dans des unités militaires et bénéficiaient d’une couverture militaire chaque fois que cela était possible, notamment au sein des bases militaires éloignées dans le monde entier… Les méthodes opérationnelles secrètes ou invisibles mises au point par la CIA et l’armée au cours des années 1950 sont encore utilisées aujourd’hui, malgré la disparition apparente de la guerre froide, dans des activités secrètes telles que celles qui se déroulent en Amérique centrale et en Afrique… Il est difficile de distinguer la CIA de l’armée car elles travaillent toujours ensemble. »
Une déclaration audacieuse
Le 2 septembre 1945, Ho Chi Minh signait la déclaration d’indépendance d’une nouvelle nation, la République démocratique du Vietnam, qui statut que :
« Un peuple s’est courageusement opposé à la domination française pendant plus de quatre-vingts ans, un peuple a combattu aux côtés des Alliés contre les fascistes au cours de ces dernières années – un tel peuple doit être libre et indépendant. »
Ho Chi Minh dirigeait depuis 1941 le mouvement nationaliste d’indépendance du Viet Minh contre la domination coloniale du Japon. Comme la majorité du monde, Ho Chi Minh considérait que la guerre contre les fascistes était alignée sur une guerre contre l’impérialisme. Il pensait que si le monde devait enfin prendre position contre cette tyrannie, le colonialisme n’aurait plus sa place dans le monde de l’après-guerre. Le monde devrait être organisé sur la base de la reconnaissance et du respect des États-nations indépendants, conformément à la vision d’après-guerre de Roosevelt.
Après une longue et horrible bataille contre les impitoyables fascistes japonais, avec le soutien des États-Unis et de la Chine pendant la guerre, Ho Chi Minh espérait que le Vietnam pourrait retrouver sa paix d’antan grâce à sa nouvelle indépendance vis-à-vis du régime colonial.
Les Japonais s’étaient rendus et partaient. Les Français avaient été vaincus par les Japonais et ne reviendraient pas – du moins le pensait-on.
Vo Nguyen Giap, le brillant commandant militaire de Ho Chi Minh, alors qu’il était ministre de l’Intérieur du gouvernement provisoire, a prononcé un discours décrivant les États-Unis comme un bon ami du Viet Minh. Cela aussi, c’était en septembre 1945. Ho Chi Minh avait reçu des États-Unis un énorme stock d’équipement militaire et il s’attendait à pouvoir administrer son nouveau gouvernement au Vietnam sans autre opposition.
Mais le 23 septembre 1945, peu après la publication de la déclaration d’indépendance de la République démocratique du Vietnam, un groupe d’anciennes troupes françaises, agissant avec le consentement des forces britanniques (qui s’étaient vu confier la juridiction de la région à la suite de la conférence de Potsdam) et armé d’armes japonaises volées dans les stocks de capitulation, a organisé un coup d’État local et pris le contrôle de l’administration de Saigon, au Vietnam du Sud, connue aujourd’hui sous le nom de Hô Chi Minh-Ville.
En janvier 1946, les Français avaient atteint tous leurs objectifs militaires au Vietnam et réinstallé le gouvernement français.
Il faut comprendre que la suppression de la présence française en Indochine ne fut pas une mince affaire, car il ne s’agissait pas seulement de leur présence militaire, mais aussi de leurs intérêts commerciaux, notamment les banques françaises, parmi les plus puissantes d’Asie. Les Français imposaient leur présence coloniale en Indochine depuis 1787.
Les négociations entre la France et la République démocratique du Vietnam ont commencé début 1946. Ho Chi Minh se rend à Paris, mais la conférence échoue en raison de l’intransigeance française.
La guerre d’Indochine française éclate en 1946 et dure huit ans, l’effort de guerre de la France étant largement financé et fourni par les États-Unis.
En 1949, Bao Dai, l’ancien empereur qui passait la plupart de son temps dans le luxe à Paris, en France, a été mis en place par des intérêts étrangers pour être le gouvernement fantoche de l’État du Vietnam (Vietnam du Sud).
Le 8 mai 1950, le secrétaire d’État Dean Acheson annonçait que les États-Unis allaient accorder une aide économique et militaire à la France et à l’État du Vietnam. La valeur de cette aide militaire dépassait les 3 milliards de dollars.
Il n’y a jamais eu de raison officielle pour laquelle les États-Unis ont changé leur allégeance de Ho Chi Minh vers les intérêts coloniaux français et à leur gouvernement fantoche. Bien que la croyance de Ho Chi Minh dans le communisme ait été utilisée pour justifier cette trahison, la vérité est qu’il représentait une menace parce qu’il se considérait avant tout comme un nationaliste, qui croyait que le peuple vietnamien ne faisait qu’un et que sa nation méritait d’être indépendante de la domination coloniale.
C’est ce nationalisme qui ne pouvait être toléré dans les régions du monde considérées comme des territoires impériaux et des terres soumises. C’est pour cette même raison que le MI6 et la CIA ont organisé un coup d’État contre le nationaliste bien-aimé Mosaddegh en Iran, un non-communiste titulaire d’un doctorat en droit et qui était en passe de supprimer toutes les revendications impériales britanniques sur le pétrole du pays après avoir gagné son procès contre les Britanniques à La Haye et au Conseil de sécurité des Nations unies en 1951.
C’est pourquoi les intérêts de l’impérialisme et du fascisme étaient souvent liés main dans la main, comme on l’a vu avec Édouard VIII (bien qu’il n’ait pas été le seul de la famille royale britannique à partager ces opinions), le gouvernement de Vichy en France, le roi d’Italie Victor Emmanuel III qui a nommé Benito Mussolini Premier ministre en 1922 (et n’a viré Mussolini qu’en 1943 lorsqu’il était clair qu’ils allaient perdre la guerre) et le Japon impérial sous l’empereur Hirohito.
C’est pour cette raison que nous avons vu, avant même la fin de la Seconde Guerre mondiale, les impérialistes et les fascistes discuter entre eux de ce que serait le monde d’après-guerre. C’est pour cette raison que les pays choisis pour superviser cette Grande Stratégie seraient les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et le Japon, plutôt que le choix de Roosevelt, à savoir les États-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne et la Chine.
C’est pour cette raison que le rideau de fer, annoncé à l’origine, non pas par Churchill, mais par le ministre allemand des Affaires étrangères, le comte Lutz Schwerin von Krosigk, dans le London Times du 3 mai 1945, devait annoncer les termes d’une guerre indéfinie contre le communisme. En réalité, il s’agissait de tout pays opposé à la domination impériale, opposé à l’idée que certains sont nés pour gouverner et d’autres pour être gouvernés, en d’autres termes, l’impérialisme et les États-nations souverains ne pouvaient coexister.
Ho Chi Minh fut un allié des Américains sous la direction de Roosevelt. Cependant, avec la mort de Roosevelt et le coup d’État mou qui a suivi, Ho Chi Minh est devenu un ennemi.
La mission militaire de Saïgon
Le 8 janvier 1954, lors d’une réunion du Conseil national de sécurité, le président Eisenhower fait clairement savoir que les Américains n’ont pas leur place dans la guerre du Vietnam. Mais cela n’a pas vraiment d’importance.
Eisenhower, qui avait l’habitude que les gens suivent assidûment sa ligne de commandement en tant que général de la Seconde Guerre mondiale, allait bientôt apprendre que cela ne s’appliquait pas en tant que président des États-Unis.
Parmi les participants à la réunion du Conseil national de sécurité du 8 janvier 1954 figurent Allen W. Dulles et son frère John Foster Dulles. Il est impossible que les frères Dulles aient pu mal comprendre les paroles du président Eisenhower.
Pourtant, le 14 janvier 1954, six jours seulement après la déclaration « véhémente » du président contre l’entrée des forces armées américaines en Indochine, le secrétaire d’État John Foster Dulles déclarait :
« Malgré tout ce que nous faisons, il reste une possibilité que la position française en Indochine s’effondre. Si cela se produisait et que les Français étaient jetés dehors, il deviendrait, bien sûr, de la responsabilité du Viet Minh victorieux de mettre en place un gouvernement et de maintenir l’ordre au Vietnam… [Je] ne crois pas que dans cette éventualité, ce pays [les États-Unis] dirait simplement : « Tant pis ; nous sommes battus et c’est la fin de cette histoire.«
Ainsi, la graine était plantée. Si les Français étaient chassés, ce qui était plutôt prévisible, il était entendu que les États-Unis ne s’engageraient pas dans une guerre ouverte avec le Viet Minh. Cependant, ils pourraient mener des opérations clandestines contre les forces de Ho Chi Minh afin de leur causer des ennuis ou, selon les mots de Foster Dulles, « de provoquer l’enfer ».
C’est ainsi que débuta l’intervention et l’implication directe des Américains dans la guerre du Vietnam, une guerre dans laquelle les Américains armaient les deux camps depuis 1945 et à laquelle il n’y avait pas d’objectif militaire officiel, si ce n’est de « provoquer l’enfer ».
Selon un compte rendu de la réunion du Conseil de sécurité nationale du 14 janvier 1954, il a été :
« Convenu que le directeur de la Central Intelligence [Allen Dulles], en collaboration avec d’autres départements et agences appropriés, devrait développer des plans, comme suggéré par le secrétaire d’État [John Foster Dulles], pour certaines éventualités en Indochine. »
Et, juste de cette manière, la supervision entière de la guerre du Vietnam fut placée entre les mains des frères Dulles.
Deux semaines plus tard, le 29 janvier, Allen Dulles, choisissait le Colonel Lansdale pour diriger l’équipe qui allait « provoquer l’enfer » au Vietnam. Edward G. Lansdale, chef de la mission militaire de Saïgon, est arrivé à Saïgon le 1er juin 1954, moins d’un mois après la défaite de la garnison française à Dien Bien Phu, dans le but de mener une opération secrète de guerre psychologique et d’activités paramilitaires au Sud-Vietnam.
Prouty écrit :
« Ce n’était pas une mission militaire au sens conventionnel du terme, comme l’avait dit le secrétaire d’État. Il s’agissait d’une organisation de la CIA dont la mission clandestine était de « provoquer l’enfer » avec des « opérations de guérilla » partout en Indochine, une organisation terroriste compétente capable de remplir son sinistre rôle conformément à la Grande Stratégie de ces années de guerre froide.
… Avec cette action, la CIA a établi la Mission militaire de Saïgon (SMM) au Vietnam. Elle n’était pas souvent à Saïgon. Elle n’était pas militaire. C’était la CIA. Sa mission était de travailler avec les Indochinois anti-Viet Minh et non de travailler avec les Français. Avec ce contexte et ces stipulations, cette nouvelle unité de la CIA n’allait pas gagner la guerre pour les Français. Comme nous l’avons appris à nos dépens par la suite, elle n’allait pas non plus gagner la guerre pour le Sud-Vietnam, ni pour les États-Unis. Était-elle censée le faire ? »
Il convient de noter ici que, bien que les dossiers de la NSC et du Département d’État montrent que la Mission militaire de Saïgon n’a pas commencé avant janvier 1954, il y avait d’autres activités de la CIA au Vietnam, au Cambodge et au Laos (comme les équipes White Cloud) bien avant 1954, et certains membres de la SMM avaient participé à ces activités antérieures dès 1945. [L. Fletcher Prouty “The CIA, Vietnam and the Plot to Assassinate John F. Kennedy” pg 61].
Bien que Lansdale soit répertorié comme un colonel de l’armée de l’air américaine en charge du SMM, ce n’était qu’un stratagème. Il continuerait au Vietnam, comme il l’avait fait aux Philippines, à exploiter la couverture d’un officier de l’armée de l’air et à être affecté au Military Assistance Advisory Group (MAAG) à des fins de « mission de couverture ». Il était toujours un agent de la CIA, et ses véritables patrons étaient toujours à la CIA.
Avec la défaite des Français face à Ho Chi Minh en 1954 lors de la bataille de Dien Bien Phu, mettant fin à la première guerre d’Indochine, il était entendu qu’un nouveau leadership de l’opposition serait nécessaire si l’on voulait empêcher Ho Chi Minh de prendre le contrôle du Sud-Vietnam.
Ngo Dinh Diem allait évincer Bao Dai lors d’un référendum truqué en 1955, devenant ainsi le premier président de la République du Vietnam (Vietnam du Sud). Les Sud-Vietnamiens n’étaient intéressés par aucun des deux candidats.
Le lecteur doit noter ici que le Sud-Vietnam (également connu sous le nom de Cochinchine pendant des siècles) n’a jamais eu de véritable forme de gouvernement, car il n’a jamais été une nation de toute son existence, mais était plutôt composé d’anciens villages, ceci depuis plusieurs siècles avec relativement peu de changements. Il n’y avait pas de congrès, pas de police, pas de système fiscal – rien d’essentiel à la fonction d’une nation. Le « gouvernement » de Diem n’était rien d’autre qu’une façade bureaucratique.
Malgré cela, la République du Vietnam de Diem était traitée comme un membre égal de la famille des nations, comme si elle pouvait se tenir sur ses deux pieds et répondre en conséquence à la crise dans laquelle son peuple était plongé. Le gouvernement vietnamien qui, selon Eisenhower, devait combattre le Viet Minh en son propre nom, n’existait pas.
Un nombre prédominant d’Indochinois était en faveur d’Ho Chi Minh. Ils ne ressentaient aucune loyauté envers Bao Dai, qui vivait à Paris, et ils détestaient les Français. Ngo Dinh Diem était un moins que rien, qui n’a jamais rien accompli pour gagner le cœur de son peuple.
La guerre du Vietnam, telle qu’elle est comprise aujourd’hui, est pleine d’oublis. Mais l’oubli le plus grave de tous est peut-être le fait qu’aucune des six administrations américaines qui ont supervisé la guerre du Vietnam n’a jamais établit d’objectif militaire clair pour cette guerre. On a dit aux généraux envoyés à Saïgon de ne pas laisser les « communistes » prendre le contrôle du Vietnam, point final. Comme Prouty l’a déclaré à plusieurs reprises dans son livre, cela ne constitue pas un objectif militaire.
La mission militaire de Saïgon a été envoyée au Vietnam pour présider à la dissolution du pouvoir colonial français. Les frères Dulles savaient, dès janvier 1954 si ce n’est bien avant, qu’ils allaient créer un nouveau gouvernement vietnamien qui ne serait ni français ni Viet Minh et que ce nouveau gouvernement deviendrait alors la base de la poursuite de la guerre décennale en Indochine.
C’était leur principal objectif.
La Conférence de Genève, un exode génocidaire
La défaite des Français a abouti aux accords de Genève en juillet 1954, qui établissait le 17e parallèle comme ligne de démarcation temporaire séparant les forces militaires des Français et du Viet Minh. Dans les 300 jours suivant la signature des accords, une zone démilitarisée, ou DMZ, a été créée, et le transfert de tous les civils qui souhaitaient quitter l’un ou l’autre camp devait être achevé.
Ho Chi Minh et tous les Vietnamiens du Nord croyaient que leur nation était « une ». Ils ne voulaient pas d’une division de leur pays, comme les accords de Genève l’avaient garanti.
L’article final des Accords de Genève, au numéro 14, quelques lignes à peine remarquées, se lit comme suit : « … tout civil résidant dans un district contrôlé par une partie, qui souhaite aller vivre dans la zone assignée à l’autre partie, sera autorisé et aidé à le faire par les autorités de ce district ».
Le sens sinistre de ces propos était dissimulé sous l’apparence de mots humanitaires. La note américano-britannique parlait d’un « transfert pacifique et humain », comme s’ils étaient gentils et sensibles à la situation, prêts à déraciner des gens qui avaient vécu toute leur vie dans un village établi qui existait depuis des dizaines de milliers d’années.
Les gens du monde entier, dont la plupart ne connaissaient pas les Tonkinois, ont été amenés à croire que cette offre était un geste de compassion. Et, ce qui est pire, les planificateurs de ce sinistre complot étaient certains que les peuples du monde n’apprendraient jamais la vérité, c’est-à-dire que ce déplacement d’un million de Nord-Vietnamiens était en réalité destiné à mettre le feu au pays. Il s’agissait d’un coup monté et d’une base essentielle pour l’entrée directe des États Unis dans la guerre.
L’exode massif de Nord-Vietnamiens vers le Sud-Vietnam sera orchestré par la Mission militaire de Saïgon. Ce fut un terrible bouleversement pour ces gens, mais il a été vendu à l’Occident comme s’il s’agissait de réfugiés fuyant Ho Chi Minh. En réalité, ils fuyaient la « guerre psychologique » et les « tactiques paramilitaires » aujourd’hui appelées « terrorisme » que la SMM déchaînait contre ces petits villages du Nord.
Dans leurs propres mots, tels que trouvés dans les documents publiés avec les Pentagon Papers, les dirigeants du SMM ont écrit que la mission avait été envoyée au Nord-Vietnam pour mener une « guerre non conventionnelle », des « opérations paramilitaires », une « guerre politico-psychologique », des campagnes de rumeurs et pour mettre en place un cours de guerre psychologique de combat pour les Vietnamiens. Les membres du SMM étaient des « agents provocateurs » classiques.
Prouty écrit :
« Ce mouvement de catholiques – ou d’indigènes que le SMM appelait « catholiques » – des provinces du nord du Vietnam vers le sud, selon les dispositions de l’accord de Genève, est devenu l’activité la plus importante de la Mission militaire de Saïgon et l’une des causes profondes de la guerre du Vietnam. Le terrible fardeau que ces 1 100 000 déplacés démunis ont imposé aux résidents indigènes tout aussi pauvres du sud a créé une pression sur le pays et l’administration de Diem qui s’est avérée écrasante.
Il ne fallut pas longtemps pour que le trouble causé par les intrus nordistes favorisés par Diem sur les indigènes du sud éclate en violence. Très vite, les « amis », selon le gouvernement de Diem et ses soutiens de la CIA, furent le million de catholiques du Nord, et l’« ennemi » – ou du moins le « problème » – était les autochtones cochinchinois du Sud.
Le moment était venu d’attiser les flammes de la guerre et de faire intervenir les Américains.
Cynthia Chung
A suivre
Traduit par Saker Francophone
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