La crise à la frontière du Bélarus n’est pas la guerre, mais pourrait en devenir une Par Tarik Cyril Amar Arrêt sur info — 19 novembre 2021

Les dirigeants de l’UE sont-ils à la hauteur pour piloter nos pays hors des crises causées par la mutation actuelle du monde ? La réponse est clairement non. Certaines situations ne supportent pas la médiocrité, a fortiori la communication en forme de crises d’hystérie puériles à répétition ou pire, les hallucinations paranoïaques en lieu et place de politiques sensées. [Corinne Autey-Roussel]

Des migrants qui n’étaient pas « pauvres » selon des témoins. Photo Twitter


Par Tarik Cyril Amar
Paru le 17 novembre sur RT sous le titre Belarus border crisis isn’t a war, but it could become one


L‘impasse dramatique et mortelle entre le Bélarus, la Pologne et l’UE a laissé des milliers de réfugiés pris au piège. Varsovie a déclaré que la crise à ses frontières faisait partie d’une « opération spéciale » menée par Minsk.

Pourtant, les affirmations de la Pologne sont difficiles à vérifier, en raison du black-out médiatique imposé de son côté de la frontière sur la base d’un état d’urgence juridiquement douteux. De plus, la crédibilité de Varsovie souffre de l’habitude qu’ont ses responsables de faire des déclarations infondées et sensationnalistes, notamment en imputant la crise actuelle à la Russie. Ils ordonnent ou autorisent aussi clairement les forces polonaises à pratiquer des refoulements illégaux, comme l’a souligné le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

Suivant une logique décevante (mais pas surprenante) du « bon ou mauvais, c’est mon bloc », l’UE a resserré les rangs et s’est abstenue de toute critique à l’égard de la Pologne. Mais elle a exercé des pressions sur plusieurs compagnies aériennes qui, selon elle, transportent des personnes désespérées du Moyen-Orient, qui sont ensuite encouragées à se rendre à la frontière. De nouvelles sanctions ont également été imposées au Bélarus, tandis que le ministre allemand des affaires étrangères, Heiko Maas, a prévenu que d’autres sanctions restent à venir. Aujourd’hui, des consultations avec l’OTAN sont même au programme.

La crise s’est également transformée en épreuve décisive. Au-delà des cruautés évidentes infligées par le dirigeant autoritaire du Bélarus et les nationalistes polonais en charge à Varsovie, elle fait ressortir les vraies couleurs des politiciens et des commentateurs et, souvent, le résultat est laid.

La liste des échecs moraux et juridiques est longue et s’allonge. Mais deux exemples doivent suffire. Le chancelier allemand élu Olaf Scholz et Maas, par exemple, affichent leur démagogie, leur cynisme et leur mépris du droit international.

Il semble que Maas ne se souvienne pas que les réfugiés à la frontière polonaise conservent leur droit à une évaluation correcte de leur demande de statut de réfugié, c’est-à-dire à demander l’asile. Le fait que Loukachenko les utilise – ou la manière dont ils sont arrivés à la frontière – ne change rien à ce droit. Des clips mis en ligne semblent montrer des officiers biélorusses les empêchant d’atteindre un poste de contrôle où la Pologne affirme être prête à accepter les demandes, mais il est clair que l’UE pourrait faire beaucoup plus pour que ce processus se déroule normalement.

Pourtant, comme le chef de la politique étrangère de Bruxelles, Josep Borrell, Maas prétend simplement qu’ils peuvent être renvoyés d’où ils viennent sommairement, sans évaluation au cas par cas. C’est du nihilisme juridique et moral. Si le ministre allemand des affaires étrangères ne sait vraiment pas quoi faire, il est encore plus fondamentalement incompétent qu’il n’y paraissait lors de sa gestion calamiteuse du retrait de l’Occident d’Afghanistan au nom de Berlin. S’il le sait, alors il est cynique et démagogique.

Le futur chancelier Scholz n’est pas mieux : Qu’il qualifie Loukachenko de dictateur est parfaitement logique. Mais il n’est pas logique d’offrir une « solidarité » inconditionnelle à la Pologne : Scholz estime que l’Allemagne n’a même pas le droit de commenter les mesures prises par Varsovie, notamment la construction d’un mur frontalier. Comme c’est pratique !

Pourtant, à Berlin, une telle démonstration de fausse humilité est grotesque, surtout de la part d’un homme qui, en tant qu’ancien ministre des finances, n’a jamais hésité à imposer à l’ensemble de l’UE les idées allemandes en matière de finances, d’économie et, surtout, des façons de contourner l’impôt au niveau de l’UE.

Il s’avère que l’humour teuton existe. Il est froid et très noir. Précisément au moment où la Pologne, nationaliste et de moins en moins démocratique, piétine les droits de personnes à la peau plus foncée, pour la plupart musulmanes, avec lesquelles l’Allemagne ne veut pas avoir à traiter, Scholz devient tout modeste et trop timide pour même en parler. J’applaudis des plus mollement votre notion de la « solidarité », Olaf.

Mais les cas individuels ne sont pas tout. Il est plutôt temps de s’attaquer à la pensée confuse et au jargon orwellien qui accompagnent une grande partie de l’hypocrisie de la Pologne nationaliste et de l’UE : le concept de « guerre hybride », avec sa parentèle terminologique telle que « attaque hybride ».

Il y a des cas où le terme a du sens, depuis son invention dans les années 2000. Mais aujourd’hui, il a été galvaudé au point d’être dénué de sens. Ce qui reste, c’est un terme extrêmement à la mode, souvent propagandiste, qui pousse des politiciens et des think tanks dans des hallucinations collectives. Il est sensationnel parce qu’il contient le mot « guerre », il a l’air intelligent à cause du mot « hybride » et il a l’allure d’une grande et nouvelle découverte : la guerre peut prendre d’autres formes que les tirs croisés. Oh là là !

En même temps, « guerre hybride » est une notion commodément vague et très polyvalente. L’OTAN, par exemple, définit la « guerre hybride » comme « des méthodes… telles que la propagande, la tromperie, le sabotage et d’autres tactiques non militaires. » Notez l’expression « et autres tactiques non militaires ». Alors que des choses comme la propagande ou le sabotage restent assez concrètes, l’ajout d’un terme fourre-tout permet de redéfinir tout ce que vous voulez comme « guerre » d’une sorte ou d’une autre.

Il n’est pas étonnant qu’à présent, pour les fans de l’expression, il n’y ait rien – littéralement – qui ne puisse être redéfini comme une arme. Cela ressemble à une exagération ? Si seulement c’en était une ! En fait, c’est Josep Borrell qui a parlé d’ « un monde dans lequel tout peut être transformé en arme ».

Il est clair que Borrell a un programme. À l’occasion de la présentation de la nouvelle approche de Bruxelles, appelée maladroitement « Compas stratégique », il cherche à mobiliser les gouvernements et les citoyens en exagérant les menaces et en soulignant à quel point l’UE est mal préparée pour y faire face. Sur ce dernier point, il n’a pas tort.

Mais le fait que son discours sensationnaliste ne fasse pas sourciller est la preuve d’un changement important dans les perceptions du public et la rhétorique politique. Prenons l’exemple suivant : En 2016, au plus fort de la crise de nerfs américaine contre la Russie (alias le délire du « Russiagate »), Moscou n’a pas été simplement – et à tort – blâmé pour avoir fait un président du spéculateur immobilier mégalomane Donald Trump.

C’était pire. Par exemple, dans un accès d’hystérie, Stephen Blank, du regrettable groupe de pression de l’OTAN Atlantic Council, a publiquement affirmé que la Russie était engagée dans une « guerre globale et multidimensionnelle avec l’Occident » et a exhorté ce dernier à « riposter ». Pensez à ce que nous savons maintenant sur le « Russiagate », à savoir qu’il s’agissait essentiellement d’un mensonge – et frémissez ensuite en pensant à ce qui se serait passé si l’Occident dans son ensemble avait écouté ces sornettes et s’était réellement « défendu ».

La crise frontalière entre la Biélorussie, la Pologne et l’Union européenne montre bien que le fait de parler de guerre, alors qu’il n’y en a pas, peut avoir des conséquences concrètes. Depuis qu’elle a éclaté, cet été, Varsovie a tout fait pour militariser son cadre politique et médiatique, en faisant des déclarations sans fondement sur l’exercice militaire joint biélorusse-russe Zapad-21 et en faisant intervenir toujours plus de troupes régulières – en dehors des gardes-frontières et de la police. Sans surprise, le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, saute sur chaque occasion d’organiser des séances de photos nationalistes en tenue militaire.

La Grande-Bretagne, qui souffre de deux fiascos de sa propre concoction, ses gestions du Brexit et de la pandémie de Covid-19, n’a rien trouvé de mieux à faire que d’envoyer un contingent symbolique à la frontière polonaise. La Russie a répondu par des survols de bombardiers nucléaires et des exercices de parachutistes en Biélorussie. Rien de tout cela n’est proportionnel au problème réel qui se pose. Il vaudrait mieux que tout le monde retire son armée, au moins. Tout ce qu’ils font, c’est augmenter le risque d’escalade.

Enfin et surtout, c’est bien sûr le fait de redéfinir les êtres humains comme des « armes » qui a aidé la Pologne et l’UE à les traiter sans pitié et sans tenir compte de leurs droits individuels et inaliénables.

Il est désormais considéré comme normal de reformuler toute forme de pression ou de conflit en termes de guerre. C’est une évolution extrêmement inquiétante. Car nous nous dirigeons à toute vitesse vers un monde où, dans les conditions du réchauffement climatique et de la transition en cours vers la multipolarité, les tensions et les conflits ne feront qu’augmenter, du moins pendant un certain temps.

C’est précisément le type de monde où nous devrions être extrêmement attentifs à faire la distinction entre les types d’agression qui ne sont pas des guerres – oui, même si elles sont injustes, illégales ou si elles posent des défis – et celles qui sont réellement qualifiables de guerres. Sinon, nous risquons de tomber dans une véritable guerre, simplement parce que nous serons trop désorientés par notre grandiloquence pour nous rendre compte que nous avons encore une paix à préserver.

En bref, la prochaine fois que vous entendrez un politicien ou un charlatan de think tank parler de « guerre hybride », demandez-vous si ce dont ils parlent vraiment n’est pas tout simplement une paix instable. Et demandez-vous ensuite si une paix instable n’est pas toujours préférable à une vraie guerre.

Tarik Cyril Amar

Source RT

Traduction Corinne Autey-Roussel/Entelekheia 

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