Arrêt sur info — 11 janvier 2022
Un laboratoire biologique financé par le Pentagone près d’Almaty, au Kazakhstan, est devenu le centre d’intérêt pour ses recherches sur les « pathogènes dangereux ».
Par M.K. Bhadrakumar,
Publié le 9 janvier 2022 sur Indian punchline
Un laboratoire biologique financé par le Pentagone près d’Almaty, au Kazakhstan, est devenu le centre d’intérêt pour ses recherches sur des « pathogènes dangereux ».
Le ministère kazakh de la Santé a publié aujourd’hui un démenti aux informations diffusées sur les médias sociaux concernant la saisie d’un « laboratoire biologique militaire près d’Almaty par des personnes non identifiées ».
Selon l’agence de presse Tass news agency, les médias sociaux avaient émis l’hypothèse que des spécialistes portant des combinaisons de protection chimique travaillaient à proximité du laboratoire alors qu’une « fuite d’agents pathogènes dangereux » se produisait.
Le communiqué de presse soigneusement rédigé par le ministère kazakh clarifie : « Cela n’est pas vrai. L’installation est protégée. » Point final.
Ce rapport intrigant met en lumière la partie émergée d’un iceberg qui a des implications pour la santé publique et présente de sérieuses ramifications géopolitiques.
Depuis la fin des années 1990, lorsque l’on a appris que les États-Unis établissaient et développaient régulièrement des partenariats de recherche biologique avec plusieurs républiques ex-soviétiques, Moscou a affirmé à plusieurs reprises que cette coopération constituait une menace pour la Russie.
Ces installations de recherche biologique étaient à l’origine envisagées dans le cadre du programme Nunn-Lugar de réduction de la menace biologique, afin d’empêcher la prolifération de l’expertise, des matériaux, des équipements et des technologies susceptibles de contribuer au développement d’armes biologiques.
Mais Moscou soupçonnait que c’était exactement le contraire qui se produisait – en réalité, le Pentagone a parrainé, financé généreusement et fourni une assistance technique à ces laboratoires où, « sous couvert de recherche pacifique, les États-Unis renforcent leur « potentiel militaro-biologique. »
Dans une déclaration sensationnelle d’octobre 2018, le général de division Igor Kirillov, commandant des troupes russes de défense radiologique, chimique et biologique, est allé jusqu’à divulguer un schéma que l’on peut discerné du réseau de laboratoires du Pentagone situés près des frontières de la Russie et de la Chine.
Le partenariat américano-kazakh dans ce domaine remonte à 2003. Le Kazakhstan est un « point chaud » intéressant pour l’apparition et la surveillance des maladies infectieuses, en raison notamment de son histoire, de sa géographie et de la diversité de ses espèces hôtes. Depuis l’époque des tsars, le Kazakhstan dispose d’une infrastructure et d’un réseau à plusieurs niveaux pour la surveillance des maladies infectieuses.
Les projets de recherche financés par les États-Unis étaient axés sur des études portant sur des agents sélectionnés, notamment des zoonoses : charbon, peste, tularémie, grippe aviaire hautement pathogène, brucellose, etc. Ces projets ont financé des chercheurs au Kazakhstan, tandis que les collaborateurs des projets aux États-Unis et au Royaume-Uni ont encadré et guidé ces chercheurs pour développer et tester leurs hypothèses.
Il s’agit d’un arrangement « gagnant-gagnant ». Le personnel des instituts kazakhs a été formé aux techniques modernes de diagnostic et de gestion des données et a effectué des travaux de recherche grâce à de généreux financements extérieurs, tandis que le Pentagone a obtenu, par l’intermédiaire de ces laboratoires, des données précieuses pour les programmes secrets américains d’armes biologiques à application militaire visant spécifiquement des groupes ethniques en Russie et en Chine.
Le Laboratoire central de référence (LCR) d’Almaty, dont le nom ne prête pas à confusion et qui figure dans le rapport du Tass, était initialement prévu en 2013, les États-Unis ayant investi 102 millions de dollars dans un laboratoire de biosécurité destiné à étudier certains des agents pathogènes les plus mortels susceptibles d’être utilisés dans des attaques bioterroristes.
Plutôt que d’implanter la nouvelle installation dans un terrain peu sûr du Nevada, le Pentagone a délibérément choisi un site près d’Almaty pour stocker et étudier en toute sécurité les maladies les plus dangereuses telles que la peste, l’anthrax et le choléra.
Le raisonnement était que le laboratoire offrirait un emploi rémunéré à des chercheurs kazakhs talentueux et les sortirait de la rue, pour ainsi dire – c’est-à-dire qu’il les dissuaderait de vendre leur expertise et leurs services scientifiques à des groupes terroristes susceptibles d’utiliser des armes biologiques !
Mais le LCR, désormais opérationnel, repose sur une coopération institutionnelle entre le gouvernement kazakh et l’Agence de réduction des menaces de la défense américaine, qui dépend du Pentagone et qui est chargée de protéger « les intérêts de la sécurité nationale des États-Unis dans un environnement de menaces mondialisé et en évolution rapide, afin de permettre une meilleure compréhension de nos adversaires et de fournir des solutions aux menaces liées aux ADM à l’ère de la concurrence entre grandes puissances ».
À propos, l’Allemagne a également conclu un accord similaire sous le nom German-Kazakh Network for Biosafety and Biosecurity, qui est cogéré par l’Institut de microbiologie de la Bundeswehr (une installation de recherche militaire des forces armées allemandes pour la défense biologique médicale).
Pourquoi le Kazakhstan est-il un partenaire recherché ? En termes simples, le pays offre un accès unique aux groupes ethniques russes et chinois en tant que « spécimens » pour mener des recherches sur le terrain impliquant des agents de guerre biologique potentiels hautement pathogènes. Le Kazakhstan a 13 364 km de frontières avec ses pays voisins : la Russie, la Chine, le Kirghizstan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan.
La Chine est-elle indifférente à tout cela ? Loin de là. La revue Beijing Review a publié un rapport provenant de BBC Monitoring in 2020 faisant état des préoccupations de la Chine en la matière. Pas plus tard qu’en novembre de l’année dernière, un commentateur russe a écrit que ces bio-laboratoires sont des bases virtuelles du Pentagone et a demandé une enquête internationale. Il a souligné que le ministère kazakh de l’éducation et des sciences « travaille désormais principalement sur des programmes de recherche du Pentagone ».
Comment le Kazakhstan, un pays membre de l’OTSC, a-t-il pu s’en tirer avec une telle conduite ? Cela mérite quelques explications.
Paradoxalement, ces laboratoires biologiques sont des exemples vivants de quelque chose de sinistre qui s’est produit, que tout le monde connaissait et dont personne ne voulait parler, à savoir la pénétration étendue des élites dirigeantes kazakhes décadentes par les services secrets américains.
Cette pénétration dure depuis des années, mais elle s’est considérablement intensifiée lorsque l’ancien président Nurusultan Nazarbayev, âgé de 81 ans, a commencé à relâcher son autorité et que les membres de sa famille et ses acolytes ont commencé à travailler au noir (sous le regard bienveillant du patriarche, bien sûr) – un peu comme les années Eltsine en Russie.
Malheureusement, c’est une histoire familière. Les élites kazakhes sont notoirement corrompues, même selon les normes de l’Asie centrale, et les élites parasites ont préféré garder leur butin dans des lieux sûrs du monde occidental. Sans surprise, ils sont désespérément compromis avec les services secrets américains. C’est aussi simple que cela.
Moscou a certainement senti que la désaffection populaire s’accumulait et que le sol sous les pieds de Nazarbayev, un ami proche de Poutine, bougeait. Mais elle n’est pas intervenue – ou, plus probablement, n’a pas voulu intervenir – car les États-Unis opéraient par l’intermédiaire de puissants compradores qui se trouvaient être des membres de la famille et des associés du patriarche vieillissant.
Compte tenu des affiliations claniques dans cette partie du monde, Moscou a probablement jugé prudent de garder ses conseils pour elle-même. Un facteur supplémentaire aurait été la crainte que les États-Unis manipulent les forces ultranationalistes (comme cela s’est produit en Ukraine) pour porter atteinte à la minorité ethnique russe vulnérable de 3,5 millions de personnes (18 % de la population).
Par-dessus tout, le fait est que les amis de Nazarbayev détenaient les leviers du pouvoir d’État, notamment l’appareil de sécurité, ce qui donnait à Washington un avantage décisif.
Mais les choses ont radicalement changé cette dernière semaine. Nazarbayev a peut-être encore une certaine influence résiduelle, mais pas suffisamment pour sauver l’élite qui servait les intérêts américains. Le président Tokayev, un diplomate de carrière peu visible de par sa profession, est finalement en train de se débrouiller tout seul.
Deux des actions décisives de Tokayev ont été le remplacement de Nazarbayev à la tête du Conseil national de sécurité et le renvoi du puissant chef des services de renseignement du pays, Karim Masimov (qui a depuis été arrêté avec d’autres suspects non identifiés dans le cadre d’une enquête pour « haute trahison » ).
En effet, Washington a de quoi s’inquiéter car, en fin de compte, le Kazakhstan reste une affaire inachevée, à moins et jusqu’à ce qu’une révolution de couleur puisse provoquer un changement de régime et installer un dirigeant pro-occidental au pouvoir, comme en Ukraine. Les turbulences actuelles constituent une tentative avortée de révolution de couleur, qui a fait long feu.
Contrairement à l’Afghanistan, la CIA et le Pentagone ne sont pas en mesure d' »évacuer » leurs collaborateurs. Et le flot torrentiel des événements a choqué l’establishment de Washington. Le Kazakhstan est un grand pays (deux tiers de la taille de l’Inde) et peu peuplé (18 millions d’habitants), et les forces de l’OTSC qui se sont installées sont bien équipées et dirigées par un général aguerri qui a écrasé l’insurrection soutenue par les États-Unis en Tchétchénie.
Les forces russes ont emporté avec elles le système de guerre électronique avancé Leer-3, qui comprend des drones Orlan-10 spécialement configurés, des dispositifs de brouillage, etc. Les frontières ont été scellées.
Le mandat des forces russes est de protéger les « actifs stratégiques ». On peut supposer que ces biens comprennent les laboratoires financés par le Pentagone au Kazakhstan.
Source : Indian punchline
(Traduction Olinda/Arrêt sur info)
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