Poutine: comment réagirait Washington si nous placions nos missiles à ses frontières avec le Mexique ou le Canada?

 Arrêt sur info — 29 décembre 2021

Conférence de presse annuelle de Vladimir Poutine, le 23 décembre 2021.


Source : en.kremlin.ru


Vidéos (1 et 2)


Transcription :

[…] Dmitry Peskov : Poursuivons. Je propose de donner la parole aux chaînes de télévision

Vladimir Poutine : Bien sûr.

Dmitry Peskov : Je vois NTV, Irada Zeinalova. Vous n’avez pas besoin de vous présenter.

Irada Zeinalova : Bonjour, Vladimir Vladimirovich, chers collègues.

Puisque nous parlions d’histoire, je dirais que les choses se passent presque selon [Alexander] Gorchakov, qui a fameusement dit : « La Russie se concentre. » Bien sûr, nous aimerions nous concentrer sur nos problèmes internes, nous occuper de nos affaires internes.

Cependant, au cours des dernières semaines, les médias mondiaux ont alimenté les tensions, affirmant que les Russes arrivent, que la Russie envisage d’attaquer l’Ukraine et veut la guerre. Des gens sérieux vous appellent, vous parlez avec eux et expliquez notre position, mais ils ne se calment pas. Du coup, nous envoyons nos propositions, établissons nos « lignes rouges » et, grosso modo, expliquons les règles du jeu, qui, vous en conviendrez, n’existaient pas auparavant. Depuis 30 ans, nous vivons dans un marécage et on nous dit que nous ne respectons pas certaines normes.

Nous avons défini nos lignes rouges et nous savons que nous avons défini nos priorités et nos intérêts en matière de sécurité. Mais nous avons également appris de l’histoire que tout accord conclu au cours des négociations peut rester sur le papier, comme cela s’est produit à plusieurs reprises par le passé. La moindre provocation après de tels pourparlers peut conduire à une grande guerre, et les accords restent sur le papier ou sont à nouveau oubliés.

Voici donc ma question. Vladimir Vladimirovich, à quoi devons-nous nous préparer ? Qu’est-ce qu’une perspective réaliste, et puisque le mot « guerre » a été prononcé à voix haute, avons-nous estimé la probabilité d’une guerre même à la suite d’une provocation ?

Vladimir Poutine : Vous avez évoqué Gorchakov et la fin de sa phrase : « La Russie se concentre. » Vous vous souviendrez peut-être également que la première partie de la phrase – en réponse à une question pour savoir si la Russie était en colère – était : « Non, la Russie n’est pas en colère, la Russie se concentre. »

Je vais essayer de donner une réponse courte, mais je devrai commencer par le début. L’aggravation a commencé en 2014. Avant cela, même si l’Union soviétique avait cessé d’exister et qu’une partie des territoires historiquement russes avec une population historiquement russe, principalement en Ukraine, s’étaient retrouvés à vivre en dehors de la Russie, nous avons accepté cela comme une réalité et étions plus ou moins à l’aise à ce sujet. Nous avons même aidé ces nouvelles Républiques à se remettre sur pied, et nous avons travaillé, étions prêts à travailler et travaillons toujours avec leurs gouvernements, quelles que soient leurs priorités en matière de politique étrangère.

Qu’il suffise de rappeler nos relations avec le président [Viktor] Iouchtchenko et le Premier ministre [Ioulia] Timochenko, qui ont indiqué, comme l’actuelle direction ukrainienne, leur position absolument pro-occidentale. Mais nous avons quand même travaillé avec eux. C’est vrai que nous nous sommes disputés sur le gaz, et il y a eu des conflits, mais finalement nous sommes parvenus à un accord, et nous avons travaillé, et étions prêts à continuer à travailler ensemble, et nous n’avons même jamais pensé à faire quoi que ce soit pour la Crimée.

Mais que s’est-il passé en 2014 ? Un coup d’État sanglant, des gens ont été tués et brûlés vifs. Je ne parle pas maintenant de qui avait raison et qui était à blâmer. De toute évidence, les citoyens ukrainiens étaient à juste titre indignés et mécontents de ce qui se passait dans le pays. Le Président de l’époque, Ianoukovitch, avait tout accepté. Trois ministres des Affaires étrangères – de Pologne, d’Allemagne et de France – ont garanti le développement pacifique de la situation et du processus de paix. J’ai parlé avec le Président américain de l’époque à son initiative. Il m’a également demandé de soutenir ce processus. Tout le monde était d’accord, mais un coup d’État a eu lieu en un jour ou deux. Pourquoi ? Il n’y a pas de réponse. Pourquoi était-ce nécessaire ? Le Président Ianoukovitch avait déjà tout accepté de toute façon. Il était prêt à abandonner le pouvoir dès le lendemain. Les élections et la victoire de l’opposition étaient inévitables. Tout le monde le savait très bien. Pourquoi ont-ils fait cela alors ?

Puis il y a eu le soulèvement de la Crimée. Mais comment aurions-nous pu refuser la demande de Sébastopol et de Crimée, des gens qui y vivaient, de les prendre sous notre protection, sous notre aile ? Ce n’était pas possible. Nous étions simplement mis dans une situation où nous ne pouvions pas agir différemment. Ou étions-nous censés simplement regarder passivement ce qui se passait dans le sud-est, dans le Donbass, qui s’est toujours considéré comme faisant partie de la Russie, même lors de la formation de l’URSS en 1922-1924 ? Mais Lénine et ses camarades ont coincé le Donbass [en Ukraine] par la force. Au début, ils ont décidé d’en faire une partie de la Russie et ont ensuite déclaré que la décision devait être révisée.

Ils l’ont révisée et ont créé un pays qui n’avait jamais existé auparavant [l’Ukraine]. Nous n’en parlerons pas maintenant, mais c’est ce qui s’est passé alors. Ils y ont entassé les terres historiques de gens à qui personne ne demandait comment ni où ils voulaient vivre. Très bien, c’est ce qui s’est passé, nous en avons convenu. Mais nous devions faire quelque chose en 2014 et cela a conduit à la crise qui se déroule aujourd’hui.

Eh bien, les autorités ukrainiennes ont tenté à deux reprises de résoudre le problème du Donbass par la force bien que nous ayons essayé de les persuader de ne pas le faire. J’ai personnellement essayé de convaincre M. Porochenko : tout sauf des opérations militaires ! Oui, oui, a-t-il dit puis il a eu recours à la force. Quel a été le résultat ? Encerclement, pertes et accords de Minsk. Sont-ils bons ou pas ? Je pense qu’ils sont la seule issue possible. Alors quel est le problème? Il n’y a aucune volonté de les mettre en œuvre. Ils ont adopté une loi sur les peuples indigènes et ont annoncé que le peuple russe qui vivait sur cette terre, sur sa propre terre, n’était pas indigène. Incidemment, la même chose a été faite aux Polonais, aux Hongrois et aux Roumains. D’où les différends dans les relations de l’Ukraine avec ces pays. Ces différends existent. Ils ne reçoivent pas beaucoup d’attention, mais ils sont là.

La langue est venue ensuite. Les Russes et la population russophone sont chassés de leurs terres historiques – c’est ce qui se passe. Très bien. Tout le monde dit : la Russie doit respecter les accords de Minsk. Nous sommes d’accord. Mais de leur côté, le gouvernement a subitement soumis au parlement une loi sur une période de transition. Comment cela cadre-t-il avec les accords de Minsk ? Au lieu de l’amnistie, cette loi prévoit une interdiction de l’amnistie, presque une responsabilité pénale pour quiconque accorderait l’amnistie. Au lieu d’élections, cette loi introduit un gouvernement militaire, et au lieu d’amnistie – la lustration [exclusion de la fonction publique de fonctionnaires jugés trop proches de la Russie]. De quoi s’agit-il ? Et ils l’ont fait approuver par la Commission de Venise. Alors, comment sommes-nous censés réagir à tout cela ?

Il s’agit de la composante politique intérieure. Mais alors nous entendons : guerre, guerre, guerre. On pourrait avoir l’impression qu’une troisième opération militaire est peut-être en préparation. De plus, ils nous préviennent d’avance : « N’intervenez pas, ne protégez pas ces populations. Si vous interférez pour protéger ces populations, certaines sanctions suivront. » Il se pourrait bien qu’ils s’y préparent. C’est la première option à laquelle nous devons répondre et agir, tout en gardant cela à l’esprit.

La deuxième option est, en général, de créer, comme je l’ai dit dans mon article, une sorte d’anti-Russie sur ce territoire en y stockant constamment les dernières armes et en faisant un lavage de cerveau à la population locale. Imaginez simplement comment la Russie doit vivre et continuer, d’un point de vue historique ? Doit-on vivre, en gardant constamment un œil sur ce qui se passe là-bas, et quels nouveaux systèmes d’armes ont été déployés ? Sous le couvert de ces nouveaux systèmes d’armes, des radicaux pourraient bien décider de régler la question du Donbass, ainsi que la question de la Crimée, par des moyens militaires. Pourquoi ont-ils soutenu la Plateforme de Crimée [initiative du Président ukrainien Zelensky visant à reprendre la Crimée à la Russie] ? En marge, ils n’arrêtent pas de dire : « Très bien, oublions la Crimée. » Mais non ! Ils comptent même arriver jusque-là.

Après tout, nous devons être attentifs à notre propre sécurité, pas seulement pour aujourd’hui et pas seulement pour la semaine prochaine, mais pour le futur proche. Comment la Russie vivra-t-elle avec tout cela ? Doit-on rester sur nos gardes en permanence, surveiller ce qui s’y passe et s’attendre à tout moment que la situation dégénère ?

Ceci est une affaire sérieuse. Je viens de parler de nos projets de développement des infrastructures, de politique sociale et de soins de santé. Mais qu’est-ce que tout cela signifie si nous nous retrouvons dans le conflit dont vous parlez ? Ce n’est pas notre choix et nous ne le voulons pas.

C’est pour cette raison que j’ai répondu à la proposition du Président Biden, qui suggérait de nommer des représentants responsables pour diriger les pourparlers de stabilité stratégique. La stabilité et la sécurité, assurer la sécurité sur ce territoire et dans cette zone est l’une des questions clés à l’ordre du jour d’aujourd’hui. Nous devons comprendre comment assurer notre sécurité. Dans cet esprit, nous nous sommes prononcés clairement et directement contre toute nouvelle expansion vers l’Est de l’OTAN. La balle est dans leur camp. Ils doivent réagir d’une manière ou d’une autre.

À cet égard, je voudrais souligner que la réponse globale que nous avons reçue a été assez positive. Nos partenaires américains nous disent qu’ils sont prêts à lancer cette conversation en entamant des pourparlers au début de l’année prochaine à Genève. Les deux parties ont nommé des représentants. J’espère que la situation évolue dans ce sens. […]

Diana Magnay (Sky News) : Merci de me donner la parole. Je crains que ma question soit en anglais.

Vous avez beaucoup parlé de garanties de sécurité, et maintenant nous avons vu vos propositions. Vous dites aussi que vous n’avez pas l’intention d’envahir l’Ukraine.

Alors, garantirez-vous inconditionnellement que vous n’envahirez pas l’Ukraine ou tout autre pays souverain ? Ou cela dépend-il du déroulement des négociations ?

Et une autre question : à votre avis, qu’est-ce que l’Occident ne comprend pas à propos de la Russie ou de vos intentions ? Merci.

Vladimir Poutine : Concernant votre question sur les garanties ou si les choses dépendent des négociations, nos actions ne dépendront pas du processus de négociation, mais plutôt des garanties inconditionnelles pour la sécurité de la Russie aujourd’hui et dans la perspective historique.

À cet égard, nous avons clairement indiqué que tout nouveau mouvement d’élargissement de l’OTAN vers l’Est est inacceptable. Y a-t-il quelque chose de pas clair à ce sujet ? Déployons-nous des missiles près de la frontière américaine ? Non nous ne faisons rien de tel. Ce sont les États-Unis qui sont venus chez nous avec leurs missiles et qui se tiennent déjà à notre porte. Est-ce aller trop loin que d’exiger qu’aucun système de frappe ne soit placé près de chez nous ? Qu’y a-t-il de si inhabituel là-dedans ?

Que diraient les Américains si nous postions nos missiles à la frontière entre le Canada et les États-Unis, ou entre le Mexique et les États-Unis ? Le Mexique et les États-Unis n’ont-ils pas eu de différends territoriaux dans le passé ? Quel pays possédait la Californie ? Et le Texas ? Avez-vous oublié [que les Etats-Unis ont annexé de force ces territoires qui appartenaient au Mexique] ? D’accord, les choses se sont calmées, et personne n’en parle maintenant comme ils parlent de la Crimée. Merveilleux. Mais nous essayons également d’éviter de parler de la création de l’Ukraine. Qui l’a créé ? Vladimir Lénine l’a fait, lorsqu’il a créé l’Union soviétique. Ceci est énoncé dans le traité de 1922 sur la création de l’Union soviétique et dans la Constitution de 1924. Certes, cela s’est produit après sa mort, mais conformément aux principes qu’il a formulés.

Mais il s’agit de sécurité, non d’histoire, mais de garanties de sécurité. C’est pourquoi ce ne sont pas les négociations elles-mêmes mais les résultats qui comptent pour nous.

Nous nous souvenons, comme je l’ai déjà mentionné à maintes reprises et comme vous le savez très bien, comment vous nous avez promis dans les années 90 que [l’OTAN] ne bougerait pas d’un pouce vers l’Est. Et que s’est-il passé ? Vous nous avez trompés sans vergogne : il y a eu cinq vagues d’expansion de l’OTAN, et maintenant les systèmes de missiles que j’ai mentionnés ont été déployés en Roumanie et le déploiement a récemment commencé en Pologne. C’est de cela dont nous parlons, ne voyez-vous pas ?

Nous ne menaçons personne. Avons-nous approché les frontières américaines ? Ou les frontières de la Grande-Bretagne ou de tout autre pays ? C’est vous qui êtes venu à notre frontière, et maintenant vous dites que l’Ukraine deviendra également membre de l’OTAN. Ou, même s’il n’adhère pas à l’OTAN, que des bases militaires et des systèmes de frappe seront placés sur son territoire dans le cadre d’accords bilatéraux. C’est tout le problème.

Et vous exigez de moi des garanties. C’est vous qui devez nous donner des garanties, et vous devez le faire tout de suite, tout de suite, au lieu d’en parler pendant des décennies et de faire ce que vous voulez, tout en devisant tranquillement de la nécessité de garanties de sécurité pour tout le monde. Ils continuent de faire ce qu’ils avaient planifié depuis le début (à savoir l’expansion de l’OTAN en direction de la Russie). C’est de cela qu’il est question. Menaçons-nous quelqu’un ?

Passons maintenant à votre deuxième question. Répétez-la, s’il vous plaît.

Diana Magnay : Que pensez-vous que l’Occident ne comprenne pas à propos de la Russie ou de vos intentions ?

Vladimir Poutine : L’Occident comprend-il ou ne comprend-il pas quelque chose ? Vous savez, j’ai parfois l’impression que nous vivons dans des mondes différents. Je viens de parler de choses qui sont évidentes. Comment ne pas les comprendre ? Ils nous ont dit : il n’y aura pas d’expansion [de l’OTAN vers l’Est], mais ils se sont étendus [toujours plus près de nos frontières]. Ils nous ont promis des garanties égales pour tous en vertu de plusieurs traités internationaux. Mais cette sécurité égale ne s’est pas matérialisée.

Regardez, en 1918, un assistant du Président américain Woodrow Wilson a déclaré que ce serait un soulagement pour le monde entier si, au lieu d’une immense Russie, un État séparé en Sibérie et quatre autres pays dans la partie européenne étaient créés.

En 1991, nous nous sommes divisés en 12 parties, je crois, et nous l’avons fait de nous-mêmes. Pourtant, il semble que cela n’ait pas suffi à nos partenaires. Ils pensent que la Russie est trop grande en l’état actuel des choses. C’est parce que les pays européens eux-mêmes se sont transformés en petits États. Au lieu de vastes empires, ce sont maintenant de petits États de 60 à 80 millions d’habitants. Cependant, même après l’effondrement de l’Union soviétique, et il ne nous restait que 146 millions de personnes, mais c’est encore trop pour eux. Je crois que c’est la seule façon d’expliquer cette pression incessante.

Prenons les années 90, par exemple. L’Union soviétique a tout fait pour établir des relations normales avec l’Occident et les États-Unis. Je l’ai dit plusieurs fois, et je le répéterai, afin que vos auditeurs et téléspectateurs comprennent. Je ne me souviens pas quel média vous représentez, mais là n’est pas la question. Nous avions des représentants des services de renseignement américains dans nos installations nucléaires et militaires ; surveiller les sites d’armes nucléaires de la Russie était leur travail. Ils y allaient tous les jours et y vivaient même. De nombreux conseillers, y compris des membres du personnel de la CIA, travaillaient au sein du gouvernement russe.

De quoi d’autre aviez-vous besoin ? Pourquoi ont-ils dû soutenir les terroristes dans le Caucase du Nord [dans le Dagestan et en Tchétchénie] et utiliser des organisations de nature clairement terroriste pour tenter de briser la Fédération de Russie ? Mais ils l’ont fait, et en tant qu’ancien directeur du Service fédéral de sécurité, je ne le sais que trop bien. Nous travaillions avec des agents doubles, et ils nous rendaient compte des objectifs que leur fixaient les services de renseignement occidentaux. Mais pourquoi ? Ils auraient dû traiter la Russie comme un allié potentiel et la rendre plus forte, mais tout est allé dans la direction opposée ; ils voulaient la démanteler encore plus.

Et puis ils ont commencé à étendre l’OTAN vers l’Est. Bien sûr, nous leur avons dit de ne pas le faire, arguant qu’ils avaient promis de ne pas le faire. Mais ils nous ont demandé : « Cette promesse a-t-elle été consignée sur papier ? Non ? Dans ce cas, cassez-vous, on crache sur vos préoccupations. » Cela a continué d’année en année, chaque fois que nous avons montré nos dents et essayé d’empêcher quelque chose et d’exprimer nos inquiétudes. Mais non : ils ne voulaient rien entendre, disant qu’ils feraient ce qu’ils jugeaient nécessaire.

Il y a eu une, deux, trois, quatre, cinq – cinq vagues d’expansion. Qu’est-ce qu’ils ne comprennent pas ? Je ne sais pas. Vous pouvez dire que tout cela est parfaitement clair. Je pense que c’est clair comme le jour : nous voulons assurer notre sécurité. […]


Source : en.kremlin.ru

Traduction : lecridespeuples.fr

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