Survie de WikiLeaks

vendredi 10 décembre 2010, 08:16

Pourquoi Besson aura du mal à expulser WikiLeaks de France Par François Krug, Eco89 Le site WikiLeaks a trouvé refuge sur les serveurs d'une société française. Casse-tête juridique pour le gouvernement.

Ce vendredi, WikiLeaks nous a indirectement offert une nouvelle révélation : il existerait en France une institution méconnue, le Conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGIET), rattachée à Bercy. Le ministre de l'Industrie mais aussi de l'Economie numérique a chargé cet organisme de réfléchir sur la légalité de l'hébergement de WikiLeaks en France. Besson ne veut pas de « sites qualifiés de criminels »

Dans sa lettre au CGIET, révélée par LePost.fr, Eric Besson explique : « La France ne peut héberger des sites internet qui violent ainsi le secret des relations diplomatiques et mettent en danger des personnes protégées par le secret diplomatique. Elle ne peut héberger les sites internet qualifiés de criminels et rejetés par d'autres Etats en raison des atteintes qu'ils portent à leurs droits fondamentaux. Je vous demande de bien vouloir m'indiquer dans les meilleurs délais possibles quelles actions peuvent êtres entreprises afin que ce site Internet ne soit plus hébergé en France et que tous les opérateurs ayant participé à son hébergement puissent être dans un premier temps sensibilisés aux conséquences de leurs actes, et dans un deuxième temps placés devant leurs responsabilités. »

Le site de WikiLeaks a en effet beaucoup voyagé ces derniers jours : après avoir été hébergé puis chassé des serveurs d'Amazon aux Etats-Unis, il a trouvé refuge chez l'hébergeur suédois Bahnhof mais aussi chez le Français OVH, comme l'a révélé ZDNet.fr. Les documents de WikiLeaks hébergés à Roubaix La société OVH, installée à Roubaix, a-t-elle le droit d'héberger WikiLeaks et ses milliers de documents confidentiels ?

A lire son courrier, Eric Besson s'est déjà fait une opinion sur la question, mais il préfère que celle-ci soit confirmée par des experts. Le ministre de l'Industrie a raison d'être prudent. En France, les hébergeurs bénéficient d'un statut relativement protecteur. Selon l'article 6 de la Loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN), datant de 2004, un hébergeur n'est pas responsable de la mise en ligne par ses clients de contenus illicites : le premier responsable est d'abord l'auteur de ces contenus ou celui qui les a mis en ligne.

En l'occurrence, donc, WikiLeaks. OVH pourra être poursuivi s'il ne respecte pas l'obligation prévue par la LCEN : une fois alerté qu'il stocke des contenus illicites, un hébergeur doit agir « promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible ». Encore faut-il savoir si les contenus en question sont, ou non, illicites. Images pédophiles, appels au terrorisme, textes racistes, atteintes au droit d'auteur avec des films ou des disques piratés : dans ces cas-là, les contenus sont manifestement illicites, et l'hébergeur n'a pas d'autre choix que de les retirer. Protéger les intérêts de l'Etat ou la liberté d'expression ? Et lorsqu'il s'agit de « câbles » diplomatiques américains ? Sur ce point, le droit français reste muet.

Cédric Manara, professeur à l'Edhec, spécialiste du droit sur Internet et blogueur, explique : « Là, on est face à un problème. D'un côté, il y a la question de la protection des intérêts de l'Etat et des relations diplomatiques. De l'autre côté, il y a la liberté d'expression et d'accès à l'information. […] On touche aux libertés, et seul un juge judiciaire peut prendre des mesures privatives de liberté. » C'est justement l'avis d'OVH, qui a habilement décidé de prendre les devants.

Sans attendre les résultats de la réflexion commandée aux experts par Eric Besson, l'hébergeur annonce qu'il a saisi le juge des référés pour y voir clair. Dans un communiqué envoyé aux médias ce vendredi, le directeur général d'OVH, Octave Klaba, affirme que « l'histoire est banale et quotidienne » : « Le système est totalement automatique et fonctionne 24 heures sur 24. Nous avons découvert comme vous tous que [WikiLeaks] est chez nous hier… dans la presse. OVH n'est ni pour, ni contre ce site. La question est hors sujet pour nous. OVH est une entreprise qui fournit les infrastructures […], et notre rôle est d'assurer cette prestation technique. C'est tout. On n'a pas demandé d'héberger ce site ou ne pas l'héberger. Maintenant qu'il est chez nous on assure le contrat. […] Ce n'est pas au monde politique ni à OVH de demander ou de décider la fermeture ou pas d'un site mais à la justice. C'est comme que ça doit marcher dans un pays de droit. » Le juge des référés devra trancher rapidement, en attendant un jugement sur le fond. Devant la complexité du dossier, il pourrait se raccrocher à « une notion un peu attrape-tout », explique Cédric Manara : celle du trouble à l'ordre public, en l'occurrence le scandale provoqué par les documents révélés par WikiLeaks et le risque de désordre dans les relations internationales. WikiLeaks serait seulement « sous-hébergé » en France Un petit détail pourrait compliquer un peu plus le travail du juge : WikiLeaks n'est pas hébergé directement par OVH, mais par un client d'OVH. Et l'hébergeur de Roubaix est décidé à faire valoir cet argument du « sous-hébergement » pour sa défense.

Dans son communiqué, le directeur général d'OVH explique : « Il s'agit d'un client qui a commandé un serveur dédié. […] Sa facture payée par CB s'élève à moins de 150 euros. Et donc il héberge le site WikiLeaks. Juridiquement parlant, OVH n'est pas l'hébergeur de ce site. OVH est juste le prestataire technique de la solution technique que le client a commandée. » Une façon de se dédouaner ? Peut-être, mais ça peut marcher.

Et OVH est bien placé pour le savoir : en matière de « sous-hébergement », c'est un arrêt le concernant qui fait jurisprudence à ce jour. Le 11 décembre 2009, la cour d'appel de Paris a donné raison à OVH contre Jean-Yves Lafesse. Des sketches piratés de l'humoriste étaient accessibles sur un site « sous-hébergé » par un client d'OVH. Comme l'y obligeait la loi, OVH avait « promptement » signalé à son client ces contenus illicites : il avait donc rempli ses obligations légales, selon la cour d'appel. Illustration en page d'accueil : capture d'écran de la lettre d'Eric Besson au CGIET. Le 03 décembre 2010

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