Dette de la France : faillite annoncée ou risque mesuré ?

vendredi 10 décembre 2010, 08:23

de Emmanuel Lévy - Marianne | Mercredi 8 Décembre 2010 à 05:01 

La dette de la France est telle que la faillite menacerait. Elle atteint 86 % du PIB. Nos créanciers internationaux rechigneraient à nous faire crédit. Mais à y regarder de plus près, l'endettement de la France vis-à-vis du reste du monde demeure limité: moins de 238 milliards d'euros.

Qui est le meilleur débiteur?  La France ou l’entreprise Sodexo ? La France ou Danone ? Bouygues ? A cette question, les marchés financiers répondent…pas la France. Comme ces grosses cylindrées, elles sont 14 entreprises du CAC40 à être aujourd’hui considérées comme de meilleurs débiteurs, selon la hiérarchie que révèlent les CDS. Les fameux Credit default swap, qui mesurent la probabilité de défaut de paiement d’un emprunteur, donnent à voir un pays gravement malade. Il faut aujourd’hui payer 0,9 centime pour s’assurer d’être remboursé de 1€ prêté à l’Etat français. C’est cher. Très cher pour un pays dont le risque de non-remboursement est pourtant relativement faible. 

Voilà  pourtant qui va conforter François Fillon dans sa croyance d’être « à la tête d'un état dans une situation de faillite sur le plan financier », comme il le fit en 2007 juste avant la crise. Qu’entre temps, la dette, au sens de Maastricht, ait augmenté, passant de 66 points de PIB (1 200 milliards d’euros à cette date) à 86 points, donne pourtant à l’affirmation du Premier ministre une étrange saveur. Si à 66%, nous étions en faillite, quelle est notre situation actuelle ? Car la France n’a-t-elle pas conservé son fameux triple A, donné par les agences de notation, et au nom duquel fut décidée la réforme des retraites ? « Si on avait été en faillite, vous voyez maintenant on est à 86, là on ne devrait plus trouver d’investisseurs pour nous prêter de l’argent et au contraire, non seulement on en trouve mais à des taux plus bas », résumait récemment encore Eric Heyer de l’Office français des conjonctures économiques (OFCE).  

On le voit les marchés financiers envoient des signaux pour le moins contradictoires. Mais une chose est sûre : la France, en tant qu’entité, est loin d’être en faillite. Car à bien y regarder, l’endettement de la France vis-à-vis du reste du monde, sans doute le plus pertinent des indicateurs financiers et pourtant le moins mis en avant est loin, très loin d’être insupportable. Tant par rapport à sa richesse produite annuellement (le PIB) que par rapport au patrimoine présent sur son territoire. 

Au 31 décembre 2009, dernier chiffre connu, la position nette de la France pointait à -238 milliards d’euros, selon les chiffres de la Banque de France. Cette position résulte de la différence entre, d’une part, les 4 643 milliards d’euros que détient l’ensemble des résidents français, ménages, entreprises, et administrations publiques sur le reste du monde et d’autre part, les 4 881 milliards d’euros que ces mêmes résidents doivent au reste du monde. On comprend que, dans dette perspective, sont exclues les dettes et créances que les résidents français détiennent les uns sur les autres. 
Il s’agit bien ici de mesurer la situation de la maison France vis-à-vis de l’ensemble des ménages, entreprises et états de la planète moins ceux présents dans l’hexagone. Bref de savoir si la dette contractée en France est une histoire de famille ou pas. 

En 15 ans, cette dette nette a certes été multipliée par 5 en valeur. Mais rapportée au PIB, autrement dit la richesse dégagée chaque année par la France, elle ne représente que 12 points de PIB aujourd’hui, contre 3,6 points quinze ans auparavant. En 1995, il fallait donc 13 jours de travail à l’ensemble des acteurs de l’hexagone contre 44 jours fin 2009 pour liquider notre position nette.  
Voilà qui relativise très certainement l’immense endettement de la France. 

Mais allons plus loin. Que nous dit l’analyse classique actif/passif, ici dette sur patrimoine. Si l’on rapporte cette dette extérieure au 12 115 milliards d’euros de patrimoine net, tel que le mesure l’Insee sous le doux nom de «patrimoine économique national» net, la situation est loin d’être alarmante. Le ratio dette extérieure nette sur patrimoine national net culmine alors à un petit 2 %..... 
Cette comparaison au PIB que privilégient les commentateurs et certains acteurs de la finance, peut donc s’avérer limitée. On compare la dette qui est une accumulation des déficits passés, ce que les économistes appellent un stock, avec le PIB, donc un revenu qui lui est un flux.  
Les mêmes qui comparent la France à une entreprise ou à un ménage pour le plus souvent décrire une situation de faillite, aurait du mal a décrire autrement une belle entreprise en pleine forme comme Bouygues.  

En attendant, dans la comparaison internationale, la France pour l’heure tient la route. Enfin du moins la tenait. Les 12% de PIB d’endettement exterieur net de l’hexagonese compare avantageusement au 23% de la dette nette américaine. Et encore, cette performance de l’Oncle Sam provient de l’immense avantage que confère le roi dollar. En effet, une part importante de ses actifs exterieurs sont en devise étrangére (une action du Cac40 par exemple est libélée en euro) et son passif en billet vert. Il suffit donc de faire baisser le dollar pour que la valeur de ses actifs grimpent mécaniquement, tandis que son passif reste en monnaie nationale. Elle est pas belle la vie ? Voilà pourquoi, alors que le pays a emprunté près de 4500 milliards de dollars depuis 2002, sa dette extérieure nette n’a progressé, elle, que de 850 milliards de dollars, ainsi que le note l’économiste suisse Cédric Tille. 

Autre exemple significatif, le Japon. L’archipel est le pays industrialisé qui affiche le ratio de dette public rapporté au PIB parmi le plus élevé des pays de l’OCDE: 193 %. Mais la dette extérieure est de 2 100 milliards dollars (moins de la moitié de celle de la France pour une économie 2,3 fois plus importante en termes de PIB), ses créances sur le reste du monde, 2 510 milliards de dollars la couvent très largement. De sorte que et c’est une tradition japonaise, l’essentiel de la dette est portée par les 127 millions de japonais. Bref, au japon, quand on parle de dette publique, on peut parler de dette détenue par le public. Et du coup on peut laver son linge sale en famille…. 
Quant à la Russie, elle a, tout comme l’Algérie, profité de la hausse vertigineuse des hydrocarbures pour liquider leur impressionnante dette extérieure contractée dans les années 90 et qui lui a beaucoup coûté sur le plan diplomatique… 
Car qui dit importante dette extérieure dit forte dependance. 

QUI POSSÈDE LA DETTE DE LA FRANCE?
Mais alors qui détient la dette de la France ? 

Depuis le passage de Jean-Claude Trichet au Trèsor, la ligne de conduite de cette puissante direction de Bercy n’a pas évoluée. L’internationalisation de la dette française constitue même un but en soi. A l’époque, on a même vu le futur patron de la BCE vendre le papier français (la dette) aux investisseurs internationaux lors de « road show » qui n’avaient rien à envier à ceux des grands patrons, avec jet et tout le tintouin.  
Encore récemment interrogé sur ce point, « qui sont les créanciers de la France » par Laure de La Rondière, député UMP de l’Eure, le ministère de l’économie sort son bréviaire et récite :  

« Un niveau de détention élevé de la dette française par des non-résidents ne doit pas être considéré comme un handicap pour l'économie française : outre le signal de confiance dont il témoigne de la part de la communauté des investisseurs sur la qualité du crédit de la France et sur l'économie française, elle accroît la sécurité de la gestion de la dette. (…)  
Enfin, une plus grande sollicitation de l'épargne nationale pour le placement de la dette de l'État engendrerait de manière certaine un effet d'éviction important au détriment de l'investissement privé qui bénéficie actuellement des placements monétaires et obligataires (livrets réglementés, assurance vie...). » 

L’argument économique est mis en avant. Alors que l’Etat voyait son déficit croître l’appel à une épargne étrangère, par nature plus large devait à la fois réduire le coût du crédit et orienter l’épargne nationale vers d’autres investissements idéalement les PME, plus certainement l’assurance vie ou encore les actions. Bref, les économies des Français doivent prendre la direction de la bourse. Car ce choix est également politique. Ce n’est pas seulement, les Français et les entreprises qui doivent prendre le chemin des marchés, mais aussi l’Etat. 
Est donc franchie au début des années 90, une marche supplémentaire vers la libéralisation du crédit en France, initié par Pierre Beregovoy le ministre des finances du tournant de la rigueur de 1984. Aidé de Jean Charles Naouri, son directeur de cabinet, il met en place l’infrastructure réglementaire sur laquelle va prospérer la place financière de Paris : c’est le grand basculement de la France dans l’économie de marché. A cette construction échappait encore partiellement la dette de l’Etat. L’internationalisation de celle-ci achève le processus, et place dès lors l’Etat emprunteur face « aux marchés » et non plus face aux banques domestiques avec lesquelles le rapport de force peut conduire jusqu’à la nationalisation. 

125 MILLIARDS D'EUROS DANS LES COFFRES DES PAYS HORS DE LA ZONE EURO

On l’a vu quinze après le règne de Jean-Claude Trichet au Trésor, la part de la dette détenue par les étrangers est passée de 3,8 % à 12 %. Pour ce qui est de la dette de l’Etat, le ratio est encore plus important. Selon le sondage « coordinated portfolio investment  survey » mené par le FMI, fin 2009, 68% de la dette d’Etat française était entre les mains d’investisseurs non résidents. 
Parmi eux, près de la moitié (47,5 %) étaient des investisseurs de la zone euros, bref des partenaires avec qui nous partageons la même monnaie et un bout de destin commun. Résultat, 36 % de la dette de l’Etat était détenue par des investisseurs hors zone euros : soit 540 milliards d’euros, soit un quart du patrimoine des administrations publiques, comme mesurées par l’Insee…  
Par extension, si l’on appliquait la détention par des étrangers hors zone euro à la dette nette de la France, on tomberait mécaniquement sur un chiffre de 125 milliards d’euros… 
Les ménages français figurent parmi les plus portés sur l’épargne. Ils épargnent en moyenne longue près de 16% de leurs revenus. Ce chiffre représente donc qu’un peu moins d’une année de leur épargne. 
La renationalisation de la dette est donc à portée de main.  

"Et pendant ce temps-là, on nous demande de consommer avec de l'argent que nous n'avons plus" - Ghil.INSANE

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