AUSTÉRITÉ Le FMI, DSK, la réforme des retraites et le gel des salaires

PAR IVAN DU ROY, NADIA DJABALI (21 SEPTEMBRE 2010) 



Discrètement, le FMI distille ses conseils à la France en matière de politique économique et sociale. À lire sa prose, on se croirait revenu trente ans en arrière, à la grande époque des plans d’ajustement structurel qui ont saigné à blanc nombre de pays « en développement ». Suppression des systèmes de protection sociale, baisse du salaire minimum, privatisation des services (encore) publics… Telle serait la potion magique pour sortir la France et l’Europe de la crise. Le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, candidat virtuel à l’élection présidentielle de 2012, soutient-il l’actuelle réforme des retraites ? Souhaite-t-il une baisse du Smic, un gel des salaires et des prestations sociales ? Envisage-t-il de davantage contrôler les chômeurs de plus de 50 ans dont on connaît la propension à abandonner leur entreprise de leur plein gré ? C’est la question qu’on peut légitimement se poser à la lecture d’un rapport du FMI : un bilan de santé économique de la France, mis en ligne en plein été. Il s’intitule : « France : la reprise est bien engagée mais il faut réduire la dette publique ». Ce document expose les prescriptions économiques du FMI pour sortir la France de la crise. Il s’agit d’un condensé de divagations néo-libérales. « La reprise sera plus forte et plus durable si les autorités donnent suite à leur engagement d’assainir les finances publiques, consolident la stabilité financière et appliquent des réformes structurelles axées sur la croissance. » Pour l’instant, rien de bien méchant au-delà de l’inévitable ritournelle de la dette, critiquée par le manifeste des économistes « atterrés ». Assainir les dépenses, donc, mais pas n’importe lesquelles ! Pas question de faire opposition au chèque de 210 millions d’euros signé par Bercy à Bernard Tapie, ni de supprimer le bouclier fiscal, encore moins de rapatrier les comptes épargnes off-shore des grandes fortunes… Travailler plus, se soigner moins Pour remettre la France sur les rails de la reprise, des efforts doivent être consentis… par ceux qui bossent. L’allongement de l’âge de départ à la retraite et l’augmentation de la durée de cotisations sont observées d’un œil attendri au FMI. « Pour préserver la viabilité budgétaire sans compromettre la reprise, les efforts d’ajustement doivent être concentrés sur les mesures qui nuiront le moins à l’activité économique, à savoir la réforme des prestations des systèmes de retraite et de santé. » Traduction : la multiplication des salariés âgés et fatigués, et l’augmentation de personnes en mauvaise santé ayant du mal à se faire soigner « nuiront le moins à l’activité économique », ils ne servent plus à grand chose à part grever le budget. Donc il est acceptable de réduire les dépenses – finalement inutiles – dont ils profitent impunément : l’assurance vieillesse et santé, deux piliers déjà fissurés de notre Sécurité sociale. Le porte-parole de l’UMP, Frédéric Lefebvre, ne s’y est pas trompé : « Le PS vient de se prendre un camouflet à travers le rapport du FMI, dirigé par Dominique Strauss-Kahn, qui rend hommage à la politique du gouvernement contre la crise et critique indirectement la critique permanente (sic) de Martine Aubry et du PS. », écrivaient ses petites mains, début août, sur la page Facebook de l’ex député. Salaires et fonctionnaires : toujours trop chers Plus classique, la baisse du nombre de fonctionnaires est bien évidemment perçue comme un levier, à généraliser. « Outre la maîtrise des dépenses de l’administration centrale et du système de sécurité sociale, il importe de poursuivre les efforts en cours pour limiter les dépenses des collectivités locales. » Aux régions, départements et communes de subir à leur tour des plans d’ajustement structurel ! Faut-il également baisser le nombre de fonctionnaires internationaux du FMI ? La note ne le dit pas. Ce n’est pas tout, loin de là. « Pour accroître la compétitivité de l’économie française et mettre à profit l’expansion du commerce international, il faut de nouveau privilégier les mesures propres à modérer la croissance des coûts salariaux, intensifier la concurrence et promouvoir l’innovation », poursuit le FMI. Vous apprécierez le choix de « modérer la croissance des coûts salariaux » plutôt qu’un brutal « gel des salaires » qui risquerait d’exciter le bas peuple. Nous avons tenté de voir si le FMI souhaitait également « modérer la croissance des coûts des dividendes distribués aux actionnaires ». En vain. Le « jeune » : une entrave à l’efficience du marché Les collègues de DSK distillent leurs conseils pour créer de l’emploi. Enfin, des mesures salutaires et pragmatiques !, se surprend-on à espérer. « Vu leur impact considérable sur la croissance, il est urgent de miser sur la création d’emplois et l’efficience du marché. Outre les politiques d’activation engagées sur le marché du travail (? ??, ndlr) [1] et les mesures de formation, la modération du salaire minimum devrait être poursuivie afin d’établir progressivement une échelle des salaires incitative pour les jeunes et les travailleurs peu qualifiés. » Traduction de cette novlangue néolibérale : baissez le Smic, et vos entreprises embaucheront des jeunes et des non diplômés. Car si le FMI emploie le terme « incitatif », c’est uniquement du point de vue des employeurs. Un salaire « incitatif » pour un jeune ne signifie pas un salaire à 1.500 euros, mais plutôt proche de 700 euros. Et avec des allègements de « charges » s’il vous plaît, et sans tickets restaurant ! Car un jeune est un « coût salarial ». La note oublie également le « coût » d’un jeune en nombre de policiers, et donc en fonctionnaires, pour le surveiller. Le jeune ampute vraiment le budget, quelle honte ! Les plus de 50 ans, ces grands feignants Mais il n’y a pas que les jeunes dans la lorgnette du FMI, il y a aussi les « plus âgés », comprenez : les plus de 50 ans. « Pour soutenir l’emploi des travailleurs plus âgés, il convient d’améliorer les incitations à continuer de travailler, notamment par la mise en œuvre effective d’exigences en matière de recherche d’emploi, parallèlement à la réforme du système de retraite. » Là encore, inciter les plus âgés à travailler ne signifie nullement adapter les postes à leur expérience et à leur âge, ou les aider à se reclasser vers d’autres activités, ou empêcher les entreprises de d’en débarrasser. Non : il s’agit de les faire partir en retraite plus tard et de fliquer davantage ceux qui se retrouvent au chômage après 50 ans. Comme si ces salariés claquaient volontairement la porte de leur entreprise pour aller vivre d’amour, d’eau fraîche et de prestations sociales dans leurs pavillons de banlieue et soigner tranquillement leurs troubles musculo-squelettiques à la charge du contribuable sain. Les licenciements à plus de 50 ans ? Les départs forcés en pré-retraite ? La placardisation préalable à la démission ? Cela n’a jamais existé. Dérèglementer le bien-être Toutes ces mesures, ainsi qu’une « déréglementation plus poussée des marchés des produits » et « une plus grande libéralisation, y compris dans les services professionnels » seraient « de nature à accroître l’efficience économique et le bien-être ». Vous avez bien lu : le FMI promeut au final le bien-être ! En clair : travailler pour 700 euros de 20 ans à 67 ans, avec à peine trois mois d’indemnités chômage en cas de licenciements, une assurance santé dérisoire, des loyers dérégulés (la concurrence les fera probablement baisser, doit estimer le FMI), des écoles privatisées et payantes, débouchera sur du… « bien-être ». La prochaine note du FMI proposera peut-être le rétablissement de l’esclavage pour retrouver le plein emploi. Terminé ? Ah si, un oubli à réparer pour ne pas être accusé d’être de mauvaise foi. La note du FMI consacre une trentaine de lignes aux « nouveaux défis de la stabilité financière ». Trente lignes qui ne disent absolument rien à part que « les banques françaises sont sorties relativement plus fortes de la crise financière mondiale » (on se demande comment). Les banques seraient réticentes à prêter de l’argent pour financer l’économie réelle, notamment les PME ? C’est, pour le FMI, la faute de ces mêmes PME ! En langue d’experts, cela donne : « La croissance du crédit privé reste poussive, notamment dans le secteur des entreprises, mais cela semblerait tenir davantage à la faiblesse de la demande qu’à des contraintes de l’offre. » Quant à « assaini r » les comptes des banques et de leurs bulles spéculatives à la manière de ceux des États, il n’en est bien évidemment pas question. Il nous reste à espérer que ce rapport ne sera pas une préfiguration du programme de Dominique Strauss-Kahn, patron du FMI et candidat potentiel en 2012. Ivan du Roy et Nadia Djabali Notes [1] Nous sommes dans l’impossibilité de vous expliquer ce que signifient « les politiques d’activation engagées sur le marché du travail ». Si c’était le cas, on bosserait au FMI pour dix fois le Smic !!!

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