Sarkozy: Opération enfumage sur la retraite

de Jack Dion - Marianne | Mardi 13 Juillet 2010 à 16:25 


En réduisant l'affaire des retraites à un problème démographique et en bottant joyeusement en touche sur les questions qui fâchent, Nicolas Sarkozy peut marteler à son aise que le projet de réforme des retraites est « juste ». Mais il ne s'agit là que d'une vaste campagne d'enfumage.

A en croire le Président de la République, le projet de réforme des retraites porté par Eric Woerth (un homme au-dessus de tout soupçon) est « juste ». D’ailleurs, c’est l’adjectif favori des ministres pour nous vendre une réforme ayant déjà fait descendre des millions de gens dans la rue.

Il faut croire que les manifestants sont des faibles d’esprit, à moins qu’ils ne soient victimes d’une forme de maladie mentale. Telle est d’ailleurs l’hypothèse envisagée par Dominique Seux, éditorialiste des Echos, qui écrit : « Le slogan « pas touche aux 60 ans » témoigne d’un déni de la réalité stupéfiant d’une partie de nos concitoyens ». En somme, tout opposant au recul de l’âge de la retraite est vaguement schizophrène sur les bords.

Pour Dominique Seux, donc, il est parfaitement logique de demander à ceux qui sont au chômage de travailler plus longtemps. A l’heure actuelle, 61% des personnes de 55 à 64 ans sont sans emploi. Que va-t-il se passer si on leur impose de partir plus tard à la retraite? Les personnes concernées n’ayant guère de chance de retrouver un emploi, elles resteront plus longtemps aux Assedic. Ensuite, elles
auront une pension de retraite amputée, ce qui se traduira mécaniquement par une baisse par une baisse du pouvoir d’achat qui pèsera forcément sur la croissance (et donc sur les rentrées budgétaires).

Voilà pourquoi l’affaire des retraites est à la réalité sociale ce que l’affaire Bettencourt est à la réalité politique. On nous assure qu’il s’agit uniquement d’un problème démographique. Cette question existe, assurément. Mais ce qui plombe les caisses de retraite, c’est d’abord et avant tout le chômage, le sous emploi, la précarité. Il faut savoir qu’un million d’emplois représente 5 milliards de cotisations dans les caisses de retraite. Or le gouvernement se refuse à évoquer cette question. Il préfère ne parler que de l’espérance de vie, en oubliant au passage les paramètres sociaux qui font que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne.

Depuis que l'âge légal de la retraite a été fixé à 60 ans (en 1981), nous dit-on, l'espérance moyenne de vie a progressé de six ans. Certes. Mais entre temps l'écart d'espérance de vie entre un ouvrier et un cadre supérieur s'est encore accru, pour s'élever à sept ans. L'usure liée à une tâche pénible est souvent le moyen assuré de terminer sa vie plus tôt que prévu, et ce n’est pas le refus obstiné de prendre en compte la pénibilité du travail qui fera avancer le schmilblick.

Il y a plus grave. En réalité, la vraie notion à prendre en compte est celle de l’espérance de vie « en bonne santé », qui n'est que de 63 ans pour les hommes et 64 pour les femmes, avec toujours un écart de sept ans entre un ouvrier et un cadre. Face à de tels écarts et de telles injustices, il faut s’appeler Laurence Parisot, patronne du Medef, pour claironner : « On vit cent ans ; on ne peut s'arrêter de travailler à 60 ». Tout le monde n’a pas l’existence harassante de Liliane Bettencourt. Nombre de ceux qui devraient, dans le futur, partir plus tard, risqueraient de ne plus partir du tout, sauf pour aller au cimetière.

Ajoutons que le gouvernement entend agir sur deux leviers à la fois : le droit au départ à la retraite (qui passerait de 60 à 62 ans) et l’âge du départ à la retraite à taux plein, sans décote en raison d’un manque de trimestres cotisés (qui passerait de 65 à 67 ans). Or cette dernière mesure est le summum de l’injustice. En effet, elle frapperait les plus pauvres, ceux qui ont des « trous » de cotisation, à commencer par les femmes.

Actuellement, près de 18% des Français ne peuvent partir en retraite qu’à 65 ans, et la moitié sont des Françaises, pénalisées par les carrières « fragmentées », comme on dit. Avec la réforme Woerth, de nombreuses femmes devraient ainsi choisir entre la peste et le choléra : travailler jusqu’à 67 ans ou partir en retraite avec des pensions amputées.


Comme réforme « juste », il y a mieux. 

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