Du rose, mais vif !

De la société française clivée et trahie par ses élites...
Christian DELARUE - 10 mai 2010

Le néolibéralisme est une arme du guerre. l’Union européenne des 27 est 3 fois plus inégalitaire que les Etats-Unis d’Amérique et 69% plus que la Russie."

De la société française clivée et trahie par ses élites et le néolibéralisme à la construction de la civilisation.

On approche d’une période sensible ou les monstres de la destruction des sociétés peuvent proliférer et agir au détriment des forces de construction du social tant au plan national qu’au plan continental.

1° La trahison multiforme des élites.

* L’aide aux banques et l’austérité pour le peuple.
Face à la mondialisation financière, les élites de droite comme de gauche ont abandonné la cohésion nationale au profit du secours aux banques. Ces dernières lors de la crise financière de 2008 et 2009 ont aspiré des sommes très importantes sur les budgets étatiques alimentés pour une large part par les contribuables particuliers soit par l’impôt direct soit par les taxes sur la consommation (TVA). L’Etat français n’a rien contrôlé et rien demandé. Dés l’été 2009 l’argent repartait vers la spéculation financière via les banques au détriment de l’investissement et des salaires (cf Duval dans Alternatives économiques ). Par contre les Etats voyaient le montant de la dette s’accroître. Là la solution était soit l’emprunt soit l’impôt (IR – IS – ISF plus que la TVA ) mais aussi la taxe sur les transactions financières - TTF – ainsi que les économistes d’ ATTAC le préconisent. L’emprunt – choisi par Sarkozy - favorise les riches prêteurs qui réclament de gros intérêts au détriment du reste de la société car cette solution s’accompagne pour les libéraux par une réduction des dépenses sociales.

* Les amortisseurs de crise ne sont pas renforcés.
De ce fait le chômage et la précarité sont devenus non seulement plus massifs mais aussi plus dramatiques du fait de la faiblesse des dispositifs d’amortisseur social (de chute). Un des avantages de la France face à la crise financière résidait dans son " Etat social " résiduel . Tout n’a pas été bradé. Il reste encore une Sécurité sociale, des services publics, un code du travail etc… dans un état certes bien démantelé . On aurait pu croire d’ailleurs que ces remarques allaient permettre de constituer une véritable politique de " cohésion sociale " par le maintien et l’extension des services publics. Il n’en fut rien. Sécurisation du travail accompagnée par de la RTT dans le but de contrecarrer les effets délétères de la désaffiliation de l’emploi par exemple ? Rien. Politique de logement social de qualité à bas prix pour éviter le déclassement social voire l’exclusion du logement. ? Rien. Défense de l’Education nationale pour accroître l’instruction pour tous et toutes. On privatise et marchandise les Universités en Europe pour introduire la concurrence ! La sélection sociale remplace l’égalité des chances.

* Les quartiers de relégation sociale laissés à l’abandon.
La politique de la ville a été le cache sexe de la politique de l’emploi et du logement. Elle laisse place aujourd’hui à la politique du karcher qui plait tant aux sécuritaristes. On ne peut pourtant répondre indéfiniment à la dérive des quartiers populaires délaissés par la seule politique répressive policière. La chose devrait être évidente : la police ne crée pas des qualifications et emplois. Par ailleurs, et c’est à bien souligner, la délinquance d’en-haut est elle passible de répression, d’interdiction, de ponction financière et d’expropriation alors que la délinquance d’en-bas relève d’une approche multifactorielle. Il s’agit fondamentalement d’agir sur les racines profondes de la situation socio-économique (bas salaires, chômage et précarité) dégradée des couches défavorisées par la politique économique des élites et du patronat. Cette situation accroît la crise identitaire en terme de perte d’estime de soi, d’espoir limité, de montée du sexisme, des discriminations et des comportements agressifs intériorisés (suicides) ou extériorisés (délinquance ou explosions de colère collective en réaction à des événements symboliques).
* Police partout , racaille partout et civilisation nulle part !
Répétons-le face à la droite dure, la police est certes nécessaire, mais ce n’est pas elle qui va créer les emplois manquants ou construire les logements de qualité à prix accessibles pour les déclassés de la crise. Evoquer la délinquance en col blanc et la délinquance des quartiers populaires dans un même mouvement c’est aussi relever que la délinquance existe partout dans toutes les couches sociales tout comme les violences sexistes. Là il y aura vols de vélos, bombages de murs, et même rixes, ailleurs sur un mode plus caché il y aura évasion fiscale dans un pays offshore. Ce qui est le plus exogène à la nation c’est la délinquance "d’en haut", en prise avec la mondialisation financière ; la délinquance "d’en bas", elle, trouve ses racines ici dans les mauvaises conditions matérielles et morales d’existence.

2° La fracture contre la cohésion sociale et nationale.
Ainsi il convient de relever que la politique menée est une politique de clivage ou pour le dire comme J. Chirac une politique de " fracture sociale " et ce au moment même ou l’on évoque et tente en vain des politiques de cohésion sociale et nationale. Les inégalités s’accroissent à tous les niveaux tant au sommet qu’à la base. Les riches deviennent plus riches, les couches moyennes sont en déclassement partiel et les pauvres plus pauvres. On sait qu’aujourd’hui un salarié peut tomber dans la pauvreté tout en ayant un travail du fait de la montée des CDD et du travail précaire.
Ce n’est pas là un processus propre à la France. A la suite de Christopher Lasch, à propos de l’évolution des mentalités aux USA , on peut distinguer dans plusieurs pays d’Europe une coupure de la société entre un petit nombre de privilégiés qui monopolisent les pouvoirs multiples - celui de l’argent et de la compétence mais aussi celui des relations et du secret bancaire - et les autres citoyens formant le peuple-classe. Les couches moyennes aisées qui subissent la crise ou qui ont des enfants en panne de perspective tendent alors à se solidariser avec les couches populaires . Elles tendent même ce faisant à accumuler plus de ressentiment contre les élites que les ouvriers et employés plus désinvestis et désespérés (au point qu’ils ne votent plus). Ce ressentiment ne débouche pas nécessairement sur du négatif. Pour résister et combattre politiquement la dégénérescence de la politique néolibérale il y a besoin d’une " agressivité positive " minimale nécessaire mais couplée à de la lucidité et de la générosité. L’émancipation collective est faite de cet alliage complexe .

C Lasch rejoint ici Ortega y Gasset, et La Révolte des masses (1930) qui caractérisait plutôt négativement l’esprit de la masse comme " la haine mortelle de tout ce qui n’est pas elle-même ". C’est que la crise actuelle donne du " grain à moudre " à l’opposition entre le vaste monde du travail et la finance prédatrice et parasitaire. Le seul obstacle de ces élites issues de la méritocratie avantageuse à une consolidation de la solidarité de classe réside parfois dans une relative aversion contre les " parasites d’en-bas ". Laquelle aversion est d’ailleurs soigneusement entretenue par les droites afin de faire diversion quant aux véritables responsables de la crise. Mais tous ne sont pas piégés par un tel discours.
Il en va de même pour le souci écologique grandissant chez les couches moyennes qui vient remplacer peu à peu une croyance bien établie dans la croissance et le productivisme. Du coup certains cadres les mieux payés militent contre le travaillisme et pour la semaine de quatre jours. Dans la réalité ils dépassent quand même les 35 heures sur 4 jours.

3° Stopper les réformes destructrices du néolibéralisme, construire la civilisation. 

* Qu’est-ce que la civilisation ?
Nombre d’auteurs ont écrit sur ce thème : Freud "Le malaise dans la civilisation" , Marcuse, Darwin lu par dessus l’épaule de Patrick Tort. Edgar Morin enfin avec son Pour une politique de civilisation (1).
L’opposition de la civilisation à la barbarie reste concevable comme normativité critique qui ne débouche pas sur des pratiques coloniales pour civiliser d’autres peuples. La civilisation dont il s’agit consiste à changer ici pour plus de cohésion sociale, moins d’inégalités de discriminations racistes, plus de coopération, d’insertion, d’intégration, d’égalité dans la liberté et la diversité. Ici signifie qu’il s’agit de respecter le principe du " droit des peuples à disposer d’eux-mêmes " ainsi que le statut d’égalité à toutes les civilisations même si des luttes transversales sont pensables contre le classisme, le sexisme, le racisme, les pratiques dictatoriales.
Ce n’est pas qu’un point de vue formel. La crise qui frappe l’Occident devrait susciter autant de critiques que celle spécifique qui secoue le monde musulman dont plusieurs pays sont pris depuis des décennies dans une dynamique mortifère et autoritaire. Edgar Morin a souligné il y a plus de dix ans (1) que les traits négatifs de l’occident - individualisme excessif, mythe de la technologie source de progrès, etc. - s’étaient déployés sur la planète. Dix ans plus tard la crise s’est aggravée et mondialisée, mélangeant les anciens défauts et les nouveaux : montée de la cupidité et de la férocité cachée de la classes sociale et économique dominante (oligarchie financière, vieille bourgeoisie patrimoniale et rentière, capital industriel) et de certaines couches d’appui du capital (management, dirigeants de médias, classe politique dirigeante, etc).
Avec les partis de droite en France et en Europe ce sont encore et toujours des réformes destructrices de ce qui constitue la civilisation qui se succèdent. La vraie gauche politique comme le syndicalisme des travailleurs et l’altermondialisme peinent à montrer en réponse qu’une voie de réel progrès social est possible dans le cadre d’un alterdéveloppement. Comment faire du positif sur les bases néolibérales (de marchandisation du monde) qui poussent comme une "seconde nature" à la désagrégation sociale, aux déclassements sociaux ? La civilisation se forge dans la coopération contre la concurrence, dans le partage du travail et des revenus contre la privatisation des bénéfices par quelques uns et la socialisation des pertes, des exclusions et de la précarité.
* L’horreur européenne ! (titre du livre de Frédéric Viale )

L’Europe fondée sur le marché commun a pris un tournant ultralibéral en 1986. Depuis elle ne cesse de s’attaquer avec un acharnement meurtrier aux services publics, aux dispositifs de sécurité sociale, aux dispositifs statutaires qui protègent les travailleurs du surtravail, de la précarité, des licenciements et du chômage, aux dispositifs permettant à chacun de percevoir un revenu digne et de faire carrière dans une entreprise ou un service public. Pour ne rien dire de la barbarie déployée sur le front de la lutte contre l’immigration venant d’Afrique. Le monde néolibéral mène le monde à la misère. Que font les syndicats de travailleurs ? Que font les partis de gauche ? Que propose le mouvement altermondialiste au prochain FSE en Turquie début juillet au forces sociales de transformation ?

Construire la civilisation c’est maintenir un service public à bas tarif voire gratuitement en matière de santé, de scolarité, de logement, de transport collectif de ville ou de campagne, en matière de distribution d’eau potable et d’alimentation pour tous. Cela suppose de revenir sur les privatisations des sociétés transnationales comme sur celles nationales. Il s’agit aussi de reprendre les recrutement de fonctionnaires dans les HLM, des entreprises d’eau passées en régie publique, dans les services de communication. Pourquoi La Poste française va s’implanter à l’étranger là ou des travailleurs locaux peuvent très bien faire le travail au lieu de maintenir ici ce qui faisait d’elle une entreprise reconnue avant que les libéraux ne la démolissent de l’intérieur pour mieux la vendre à bas prix au privé et à laisser cette activité au marché. Il va se passer ici la même chose que dans les autres secteurs privatisés : les prix vont monter et le service va dépendre de la solvabilité du client. Point d’égalité des usagers.

Le néolibéralisme est une arme du guerre. Ses agents en poste dans les partis de droite et des PS, comme dans les directions des entreprises privées s’emploient jour après jour au travail de destruction. "Sait-on dit Frédéric Viale (in L’Horreur européenne) que l’Union des 27 est 3 fois plus inégalitaire que les Etats-Unis d’Amérique et 69% plus que la Russie." Voilà un résultat à peine croyable. L’Europe de l’Union européenne est à l’image du tiers-monde caractérisé depuis longtemps par un écart important entre des très riches et des très pauvres.

En 2005 ceux qui défendaient "à gauche" le OUI au TCE s’accommodaient d’une Europe sociale en toc, au rabais. Depuis 5 ans, rien a vraiment changé. Ils maintiennent leur dérive néolibérale. Il n’y a même plus de promesses conséquentes. On va droit dans le mur socialement, écologiquement, démocratiquement. On se cogne sur le mur néolibéral et ce dernier tape encore plus fort ! Ainsi, par exemple, la flexicurité (2) a montré ce qu’elle était : réalité de la flexibilité qui s’accroît, réduction de la sécurité sociale. Les écologistes du " Oui " sont sur la même pente. Qui parle encore de RTT conséquente à même de déboucher sur un emploi stable pour tous ? Il y a eu récemment la CES (3) mais sans campagne de relais. Qui parle d’une harmonisation fiscale (4) et judiciaire (5) contre les paradis fiscaux et judicaires et pour une réelle construction sociale urgente.

Les privatisations soumises aux logiques marchandes renforcent le concurrentialisme et les logiques de sélection et poussent au décrochage scolaire, au déclassement social dans le logement et à la désaffiliation des cadres d’emploi pour les plus faibles et les plus fragiles. Renvoyons ici à Le descendeur social de P Guibert et A Mergier ainsi qu’à Panne de l’ascenseur social (6). Le seul modèle possible dans ce cadre consiste dans le surtravail ou le travaillisme des uns (travailler plus) et le chômage partiel ou total des autres. Toute une armée de travailleurs produit des richesses sans être correctement payés. A l’inverse de nombreux actionnaires de la finance continuent de s’enrichir sur les dos des travailleurs. Le néolibéralisme accepte et soutient ces politiques prédatrices et fragilisantes et au total destructrices de toute la société.

* Perspective.
Le Forum Social européen - FSE - de début juillet en Turquie va-t-il pouvoir mettre en convergence les forces politiques d’alternative, les forces syndicales du monde de la production et les forces alltermondialistes afin de montrer aux peuples-classe d’Europe mobilisés que la civilisation et l’écosocialisme est réalisable.
Cristian Delarue
Notes sur :
http://amitie-entre-les-peuples.org/...

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