Les scandales brésiliens


article du Monde du 9 mars 2015

Le Brésil est secoué par un scandale aux proportions inédites, qui touche à la fois des grands acteurs économiques et des personnalités appartenant à la coalition de centre gauche, avec laquelle gouverne la présidente Dilma Rousseff. La lutte contre la corruption est désormais en tête de l’agenda du géant sud-américain et d’autres pays de la région.
  • Qu’est-ce que le scandale Petrobras ?

C’est une affaire de corruption politique, révélée en mars 2014, qui touche à la fois l’entreprise pétrolière contrôlée par l’Etat, Petrobras, et les géants brésiliens du BTP (bâtiment et travaux publics). Ces deux secteurs travaillent ensemble sur des grands chantiers d’infrastructure, notamment ceux liés aux nouvelles réserves en eaux profondes découvertes au large du Brésil méridional.
Les entreprises du BTP auraient formé un cartel pour se partager ces marchés et pour les surfacturer. En contrepartie, des pots-de-vin auraient été versés aux partis de la coalition gouvernementale de centre gauche, au pouvoir depuis la prise de fonction du président Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010). Les malversations et dessous de table auraient pour principal objectif de financer des campagnes électorales, sans exclure que certains dirigeants d’entreprise ou hommes politiques se soient servis au passage.
  • Quelles sont les entreprises concernées ?

Outre Petrobras, toutes les grandes entreprises du BTP ont été visées par l’enquête : OAS, Odebrecht, Camargo Correia, Mendes Junior, Galvão, Iesa, Engevix, UTC/Constran. Certaines sont des multinationales, présentes dans plusieurs continents. Des PDG et de hauts responsables ont été emprisonnés à la suite de l’investigation. Curieusement, Odebrecht, numéro un du BTP, est passée à travers, alors que ce groupe a obtenu des marchés juteux, à Cuba, au Venezuela ou encore en Afrique, sans appel d’offres, grâce aux bons offices de l’ancien président Lula.
  • Quels sont les partis qui ont bénéficié du schéma de financement occulte ?
L’enquête a surtout dévoilé l’implication du Parti des travailleurs (PT, gauche), de Lula et de la présidente Dilma Rousseff ; du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre), principal allié du PT au gouvernement, au Sénat et à la Chambre des députés ; du Parti progressiste (PP, droite), de l’ancien gouverneur de Sao Paulo, Paulo Maluf.
  • Dilma Rousseff est-elle impliquée ?
La présidente n’a pas été citée par le procureur général de la République parmi les personnalités suspectées. Cependant, une bonne partie de l’opinion estime qu’elle est « responsable » à défaut d’être « coupable ». Pourquoi ? Parce qu’elle a été ministre de l’énergie, ministère de tutelle de Petrobras, et ensuite chef de cabinet du président Lula au moment des faits. A ce titre, elle a d’ailleurs présidé le conseil d’administration de Petrobras. Bref, pour beaucoup, « elle ne pouvait pas ne pas savoir ».
Pendant son premier mandat présidentiel, Dilma Rousseff s’était fait une réputation d’incorruptible, en se séparant très vite des ministres soupçonnés d’indélicatesses. Cependant, elle a hésité longtemps avant de demander à Graça Foster, une proche, de quitter sa place à la tête de Petrobras, alors qu’elle était déstabilisée par l’ampleur du scandale.
  • L’enquête est-elle impartiale ?
La séparation des pouvoirs est réelle au Brésil, contrairement à d’autres pays d’Amérique latine. L’affaire a été menée conjointement par un petit juge de province, Sergio Moro, basé à Curitiba, et la Police fédérale, un corps d’élite qui a fait ses preuves dans d’autres affaires retentissantes. Une commission parlementaire d’enquête planche également sur le scandale.
Les magistrats souhaitent que la procédure ne traîne pas pendant longtemps, à l’instar du scandale dit du mensalão (« grosse mensualité «), dévoilé par la presse en 2004. Les condamnations prononcées par la Cour suprême sont tombées en 2012. A titre de comparaison, le mensalão aurait brassé 100 millions de reais (30 millions d’euros), tandis que dans le cas Petrobras-BTP on parle d’au moins 3 milliards de reais, voire trois fois plus selon certaines sources.
  • Quel sera l’impact politique et économique du scandale ?
Le feuilleton judiciaire devrait durer au moins un an. La coalition gouvernementale est déstabilisée, alors que le second mandat de Dilma Rousseff a commencé le 1er janvier. La majorité parlementaire est sous tension. Une opinion exaspérée réclame des têtes. Les conséquences politiques sont imprévisibles.
En revanche, les dégâts économiques sont déjà flagrants. Ce sont des entreprises du CAC40 brésilien qui sont touchées, à un moment où l’économie est pratiquement en récession. Des investissements ont été suspendus, des faillites ne sont pas à exclure.
     

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