Kazakhstan : pour en savoir plus

Ce que le Kazakhstan n’est pas

Selon le britannique Craig Murray, ancien ambassadeur en Ouzbékistan, les Etats-Unis ne seraient pas derrière la révolte populaire qui se déroule au Kazakhstan. La CIA aurait été « prise de court par les événements comme tout le monde, et elle ne disposerait pas d’appuis importants sur le terrain, ni d’un Juan Gaido pour intervenir ». Afin de pouvoir se forger son opinion en connaissance de cause il est intéressant de confronter le compte rendu de Craig Murray avec des experts qui ont une approche différente. [ASI]


Par Craig Murray

Paru le 7 janvier 2022 sur le blog de Craig Murray


La connaissance du Kazakhstan en Occident est extrêmement mince, en particulier dans les médias occidentaux, et de nombreuses réactions aux événements qui s’y déroulent ont été follement biaisés.

Le récit, à droite, est que Poutine cherche à annexer le Kazakhstan, ou du moins les zones du nord à majorité ethnique russe. C’est tout à fait absurde.

Le discours de la gauche est que la CIA tente de provoquer une nouvelle révolution de couleur et de mettre en place un régime fantoche à Nur-Sultan (comme la capitale est appelée cette semaine). C’est également une absurdité totale.

Le manque d’agilité intellectuelle des commentateurs occidentaux enfermés dans les limites de leurs propres guerres culturelles est une caractéristique bien établie de la société politique moderne. Une image déformée dans ce genre de cadre n’est pas si facile à détecter lorsque le public n’a aucune idée de ce à quoi le Kazakhstan ressemble normalement.

Lorsque vous sautez dans un taxi au Kazakhstan, il est souvent difficile de faire entrer votre valise dans le coffre, car celui-ci est déjà rempli d’un gros bidon de GPL (Gaz de Pétrole Liquéfié). Les galeries de toit pour véhicules sont très appréciées au Kazakhstan.

La plupart des véhicules kazakhs fonctionnent au gaz de pétrole liquéfié, qui est traditionnellement un produit subventionné par l’énorme industrie pétrolière et gazière du pays. La hausse des prix du carburant est devenue, dans le monde entier, un élément déclencheur du mécontentement public. Le mouvement des gilets jaunes en France est né de la hausse des prix des carburants, avant de s’étendre à d’autres sujets de mécontentement populaire. Les manifestations contre les carburants au Royaume-Uni a conduit pendant des années des politiciens à se soumettre à des réductions annuelles du taux de la taxe sur les carburants, en dépit des préoccupations liées au changement climatique.

La crise politique actuelle au Kazakhstan a été déclenchée par des mesures visant à déréglementer le marché du gaz et à mettre fin aux subventions, ce qui a entraîné de fortes augmentations de prix. Ces mesures ont fait descendre les gens dans la rue. Le gouvernement a rapidement fait marche arrière et a tenté de rétablir le contrôle des prix, mais pas les subventions aux producteurs, ce qui aurait conduit les stations-service à vendre à perte. Il en est résulté des pénuries de carburant qui n’ont fait qu’aggraver les protestations.

Le Kazakhstan est une dictature autoritaire avec des divisions extrêmes de la richesse et du pouvoir entre la classe dirigeante – souvent encore l’ancienne nomenklatura soviétique et ses familles – et tous les autres. Aucune opposition politique n’est autorisée.

Après un massacre de mineurs en grève, Tony Blair avait contacté l’ancien dictateur Nazarbayev pour lui proposer ses services en Relations publiques afin de limiter les retombées politiques. Cela a abouti à un contrat de 4 millions de dollars par an pour l’aide en relations publiques de Blair au Kazakhstan, un contrat sur lequel ont travaillé les favoris de la BBC Jonathan Powell et Alastair Campbell.

L’un des résultats de la gestion médiatique blairiste pour le Kazakhstan a été que le Guardian, publiant des câbles diplomatiques américains divulgués alors en coopération avec Wikileaks, a refusé de publier les rapports de l’ambassade américaine sur la corruption au Kazakhstan.

La dictature kazakhe est également la destination préférée des princes Andrew et Michael de Kent.

J’ai toujours considéré le président Nazarbayev comme le plus intelligent des dictateurs d’Asie centrale. Il a permis une liberté économique individuelle beaucoup plus grande que dans l’Ouzbékistan voisin ; les Kazakhs ont pu créer des entreprises sans craindre de se les voir confisquer au gré des caprices de la famille régnante, et les terres agricoles collectives ont été données aux agriculteurs autochtones et la production s’est diversifiée. En matière d’affaires étrangères, Nazarbayev a habilement navigué entre la Russie, l’Occident et la Chine, sans jamais pencher définitivement dans une direction. Les technocrates et les universitaires d’origine russe n’ont pas été chassés du pays. Gazprom n’a pas été autorisé à obtenir un contrôle économique dominant.

Il n’a pas été question d’autoriser la démocratie ou de donner une voix à toute forme d’opposition. Les médias sont restés fermement sous le contrôle de l’État ; l’accès à l’internet a été restreint par des fournisseurs d’accès désignés – je crois que cela a été assoupli par la suite, mais je ne prétends pas connaître les détails. Mais comme dans tous les systèmes sans responsabilité démocratique et avec une impunité légale effective pour l’élite, la corruption s’est aggravée, les systèmes se sont sclérosés et la frustration et le ressentiment de la population se sont naturellement accumulés.

Le changement de président il y a deux ans, de Nazarbayev à Tokayev, n’a apporté aucun changement substantiel dans la gestion du pays.

L’augmentation du prix du carburant a déclenché des protestations, et lorsqu’une population qui n’avait pas vu d’exutoire à sa frustration a eu l’occasion de protester, la frustration populaire s’est transformée en dissidence populaire. Cependant, en l’absence de leaders de l’opposition populaire pour la diriger, celle-ci s’est rapidement transformée en un bouillonnement incohérent de rage, entraînant destructions et pillages.

Alors, où la CIA intervient-elle ? Elle n’intervient pas. Ils ont essayé de former un leader de l’opposition interdit (dont le nom est Kozlov, mais c’est peut-être une erreur), mais ils ont découvert qu’il ne voulait pas être leur marionnette, et le plan a été abandonné sous Trump. La CIA a été prise de court par les événements comme tout le monde, et elle ne dispose pas d’appuis importants sur le terrain, ni d’un Juan Gaido pour intervenir.

Alors où Poutine intervient-il ? Eh bien, l’Organisation du traité de sécurité collective est un club de dirigeants autoritaires ex-soviétiques. Il est intéressant de noter que l’Ouzbékistan n’y a jamais adhéré car Karimov a toujours craint (avec une certaine justification) que Poutine ne veuille le déposer. L’appel à l’aide du président Tokayev est un signe très clair de faiblesse interne. Tous les pays de l’OTSC ont intérêt à décourager la révolte populaire, il n’est donc pas surprenant qu’ils aient envoyé des troupes, mais en nombre insuffisant pour faire une réelle différence dans un vaste pays comme le Kazakhstan (qui est vraiment, vraiment, vraiment grand).

Que se passera-t-il ensuite ? Je pense que le régime survivra, mais ni moi, ni aucun observateur que je connais, n’avait prédit que cela arriverait. Les troubles seront imputés, de manière totalement erronée, aux terroristes islamiques et au soutien occidental. La véritable conséquence pourrait se situer au niveau de la politique des pipelines de la région, d’importance mondiale, où l’on pourrait assister à un glissement à long terme de la Chine vers la Russie.

Il y aura de la frustration à Pékin autant qu’à Washington. Tokayev est maintenant redevable à Poutine comme il ne l’a jamais été auparavant. Je peux vous garantir que des réunions d’urgence au plus haut niveau ont lieu en ce moment même entre le Kremlin et Gazprom pour déterminer ce qu’ils veulent tirer de cette situation. Poutine, comme l’aurait observé Napoléon, est un général extrêmement chanceux.

Craig Murray   

Craig Murray est un ancien ambassadeur britannique. Il a été recteur de l’université de Dundee de 2007 à 2010.

Source:https://www.craigmurray.org.uk/

Traduction Olinda/Arrêt sur info

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Kazakhstan : l’intervention russe établit un précédent


Par Fyodor Lukyanov
Paru le 6 janvier 2022 sur RT sous le titre Kazakhstan intervention sees Russia set a new precedent


Les acteurs étrangers ne sont peut-être pas à l’origine des troubles, mais ils en détermineront le dénouement.

L‘explosion soudaine de violence au Kazakhstan a pris les analystes et les observateurs internationaux par surprise. Aujourd’hui, la décision de déployer une force régionale de maintien de la paix est devenue le dernier jalon important pour l’espace post-soviétique.

Aux premières heures de la matinée de jeudi, l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) dirigée par la Russie, qui regroupe les forces armées de six anciennes républiques de l’URSS, dont le Kazakhstan, a annoncé qu’elle enverrait une force de maintien de la paix pour aider à maintenir l’ordre alors que les troubles se propageaient dans la vaste nation d’Asie centrale.

Cette évolution représente un flou dans la ligne de démarcation entre les processus internes et externes – Les raisons pour lesquelles le gouvernement kazakh est au bord de l’effondrement sont de nature interne et sont liées au transfert prolongé et de plus en plus bizarre du pouvoir, après le règne de près de trois décennies du leader vétéran Nursultan Nazarbayev. [1]

Cependant, les manifestations de rue, qui ont été déclenchées par la hausse des prix du carburant et ont vu des bâtiments gouvernementaux incendiés et des troupes capituler face aux manifestants, ont été immédiatement présentées comme un acte d’agression extérieure de la part de « groupes terroristes » étrangers.  Désormais, il semble que l’ennemi vienne toujours de l’extérieur, même s’il est en réalité à l’intérieur. Cette affirmation a permis de déclarer officiellement que le pays était attaqué et de faire appel à l’OTSC.

Ce n’était pas le cas dans le passé, lorsque des événements récurrents similaires se produisaient fréquemment au Kirghizstan, ni en Arménie il y a trois ans et demi. À l’époque, l’OTSC – Moscou principalement, mais aussi les autres membres – soulignaient le caractère interne des troubles, affirmant qu’une intervention étrangère n’était pas nécessaire.

Cependant, cette fois-ci, c’est différent, alors que les lignes entre affaires étrangères et intérieures deviennent floues à travers le monde. Il y a plusieurs dizaines d’années, les libéraux et les militants des droits de l’homme étaient à l’origine de la confusion croissante entre l’intérieur et l’extérieur, en défendant l’idée selon laquelle la souveraineté nationale pouvait être mise de côté lorsque les droits de l’homme et les libertés étaient en jeu. Aujourd’hui, les justifications données relèvent de la protection et de la préservation : une menace pour la sécurité nationale du pays en question et de ses voisins justifie une intervention.

Il convient de noter que, cette fois, la demande de forces de maintien de la paix émane d’un gouvernement à la légitimité incontestée – les manifestants eux-mêmes n’ont réclamé publiquement que le départ de Nazarbayev, qui conserve une emprise sur la politique intérieure, et non du président actuel. C’est ce qui différencie cette rébellion des événements de 2010 à Bichkek, lorsque le président kirghize par intérim, Roza Otunbayeva, avait tenté de faire appel à l’OTSC après que son prédécesseur, Kurmanbek Bakiyev, eût été évincé par des manifestations de masse.

L’ensemble du système gouvernemental du Kirghizstan s’était effondré, ce qui rendait toute intervention très discutable d’un point de vue juridique. Mais les fondements juridiques de la décision actuelle sont plus solides que ceux des interventions censément « humanitaires » de l’Occident – qui ont abouti au renversement de gouvernements reconnus au niveau international, quelle qu’ait été leur réputation.

À l’avenir, nous en saurons probablement plus sur la façon dont tout cela s’est passé – sur le processus de décision au Kazakhstan et en Russie, et sur qui a suggéré d’impliquer l’OTSC. Mais pour l’instant, il est clair que le gouvernement russe a choisi de prendre une longueur d’avance, au lieu d’attendre que la flamme se transforme en brasier. Il s’agit dune évolution de l’approche utilisée il y a un an et demi au Belarus, lorsqu’il avait suffi au président Vladimir Poutine de signaler que les forces russes étaient prêtes à intervenir si la dégradation de la situation intérieure l’exigeait. Cette fois, Moscou a fait l’impasse sur les avertissements et est passée directement à l’action, pensant probablement que le gouvernement kazakh ne pourrait pas tenir tout seul.

Mais les lignes ne doivent pas s’effacer complètement. La question importante est maintenant de savoir si le déploiement des forces de maintien de la paix de l’OTSC signifiera ou non la fin de la rivalité entre clans au Kazakhstan, telle qu’elle s’est manifestée à travers la « transition du pouvoir », et conduira plutôt à une consolidation du pouvoir (et dans quelles mains ?). La Russie a toutes les opportunités d’en profiter, puisqu’elle aura désormais une présence militaire dans l’État, au cœur de sa politique en tant que médiatrice dont les actions pourraient déterminer l’évolution de la situation. C’est semblable à ce qui s’est passé en Arménie après la guerre de 2020. Il ne s’agit que d’une solution temporaire, mais elle fournit un ensemble d’outils efficaces pour l’avenir proche.

De nombreux analystes recommandent vivement à la Russie de suivre l’exemple des États-Unis et de l’UE, en rapprochant « tous les acteurs », en apaisant l’opposition et en façonnant un rapport de force favorable à Moscou dans les États clés, mais ils ne tiennent pas compte du fait que chaque culture politique a ses propres forces et faiblesses. En réalité, Moscou ne sait pas faire cela – elle ne l’a jamais fait – et lorsqu’elle a essayé, elle a toujours échoué. Le scénario idéal pour la Russie serait de disposer d’une présence militaire sur place, qui lui éviterait d’avoir à gérer la complexité de la vie politique locale. En d’autres termes, quel que soit le vainqueur, il devra agir en tenant compte de la présence militaire russe et ne pas négliger complètement son partenaire de longue date.

Il y a environ quatre ou cinq ans, ce que nous appelons l’espace post-soviétique est entré dans une phase cruciale, où ces pays ont dû prouver qu’ils étaient des États souverains pleinement fonctionnels. En 1991, ils ont été reconnus comme tels, mais parce que l’URSS s’était effondrée plutôt que pour toute autre raison.

Si leurs maturations respectives ont pris des formes différentes, le contexte général était le même, avec un intérêt significatif de la part de la Russie et de l’Occident, et de certains pays au niveau régional, mais à un moindre degré. Les acteurs extérieurs qui se sont disputés l’espace post-soviétique à cette occasion sont devenus un facteur de déstabilisation, mais ils ont conféré une certaine logique aux développements et les ont inscrits dans des contextes internationaux plus larges.

Cependant, à un certain moment, les poids lourds de la politique ont commencé à se désintéresser de ce qui se passait dans les « nouveaux États indépendants », comme on les appelait dans les années 1990. Au milieu des changements mondiaux, les puissances internationales se sont de plus en plus concentrées sur leur propre liste de problèmes, qui ne cessait de s’allonger.

Elles ne se sont pas vraiment détournées des anciens États soviétiques, mais elles ont commencé à leur consacrer moins de temps et de ressources. Cela vaut également pour la Russie, même si elle a un statut spécial dans cette configuration et qu’elle cherchait des formes d’influence optimales dans le contexte de la réduction de sa sphère d’intérêts.

Le paysage politique des anciens États soviétiques a donc été façonné par des processus internes qui reflétaient les interactions entre les différents acteurs internationaux impliqués, ainsi que par la culture politique et la structure sociale locales.

Il y a aussi le fait qu’une nouvelle génération politique entre en politique dans l’espace post-soviétique et que, dans certains cas, elle s’oppose aux dirigeants plus âgés.

Ces changements ne sont pas provoqués par une influence extérieure. Les acteurs étrangers doivent y réagir, intervenir ou menacer d’intervenir, comme ils l’ont fait au Belarus, s’adapter et essayer de faire en sorte que tout fonctionne en leur faveur, mais le résultat final dépend de la maturité et de l’efficacité des nouveaux systèmes sociaux et politiques du pays, plutôt que de quelconques mécènes étrangers.

Il s’agit d’une épreuve de vérité, et tous les pays ne la réussiront pas. Le cas de l’Arménie montre que les conséquences pour une nation peuvent être terribles (et ce n’est pas fini), même si selon l’opinion dominante, malgré d’importants problèmes, le pays avait une identité forte et pouvait mobiliser ses ressources avec succès, et survivre face à un vieil adversaire. Le Kazakhstan pourrait également s’avérer un exemple de la façon dont une façade de succès longtemps cultivée cache en réalité un fond problématique et tordu. Et ce cas ne sera certainement pas le dernier.

C’est la première fois que la Russie met une institution qu’elle contrôle au service de ses propres objectifs politiques. Jusqu’à présent, il semblait que de telles structures étaient purement ornementales. Il est clair que les forces de maintien de la paix de l’OTSC déployées au Kazakhstan seront principalement constituées de troupes russes. Tout d’abord, cela garantit une réponse efficace. Ensuite, si le Kazakhstan peut accepter la présence de troupes russes sur son sol, il n’est absolument pas question de forces arméniennes ou, disons, kirghizes. Néanmoins, l’utilisation de la marque de la coalition offre à Moscou davantage de possibilités et justifie en outre l’existence de cette alliance.

L’avenir dira si d’autres États membres de l’OTSC seront confrontés au scénario kazakh, mais un précédent a été créé.

À l’approche des pourparlers russo-américains sur les questions de sécurité, cette affaire vient à point nommé pour rappeler que Moscou peut prendre des décisions militaires et politiques imprévisibles et rapides pour influencer les événements dans sa sphère d’intérêts. Plus cette démarche sera confirmée, plus la responsabilité assumée sera grande, bien sûr, y compris la responsabilité des développements dans ces pays, où les problèmes sont loin d’être terminés. Bien sûr, Moscou devrait de toute façon faire face aux retombées de ces problèmes, et il est plus facile de le faire de manière proactive, et avec une variété d’outils à portée de main.

Ce qui est clair, c’est que si le fait de qualifier les manifestants de « terroristes » étrangers a permis au gouvernement kazakh d’obtenir le soutien d’un poids lourd étranger, cela a également propulsé le conflit sur la scène internationale. Avec quelles conséquences pour l’espace post-soviétique, ou pour le monde, nul ne le sait encore.

Fyodor Lukyanov

Fyodor Lukyanov est rédacteur en chef de Russia in Global Affairs, président du présidium du Conseil de la politique étrangère et de défense et directeur de recherche du Valdai International Discussion Club.

[1] Aux dernières nouvelles, Nazarbayev a quitté le pays avec sa famille. Le président Tokayev serait en train de reprendre le contrôle de la situation.

Source: RT

Traduction : Corinne Autey-Roussel /Entelekheia.fr

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Kazakhstan: la rébellion pourrait renforcer la Russie

S’agit-il d’une « révolution de couleur » comme l’affirme le journaliste Pepe Escobar? Ou d’une « rebellion dirigée par les Etats-Unis » comme le suggère l’analyste de Mon of Alabama ci-dessous ? Arrêt sur info n’a pas d’éléments à ce stade permettant de confirmer ces dires. D’autres points de vue vont suivre… ASI

Kazakhstan. 4 janvier 2022. Crédit Wikipedia


Par Moon of Alabama

Paru le 6 janvier sur Moon of Alabama sous e titre The U.S. Directed Rebellion in Kazakhstan May Well Strengthen Russia


Début 2019, le think tank Rand financé par le Pentagone, a publié un vaste plan d’attaques soft contre la Russie :

« Extension Russie : Rivaliser à partir d’un terrain avantageux »

Ce rapport de 350 pages recommande une série de mesures à prendre par les États-Unis pour contenir la Russie. Comme expliqué dans son résumé :

« Reconnaissant qu’un certain niveau de rivalité avec la Russie est inévitable, ce rapport cherche à définir les domaines dans lesquels les États-Unis peuvent tirer un avantage. Nous examinons une série de mesures non violentes qui pourraient exploiter les vulnérabilités et les anxiétés réelles de la Russie afin de mettre sous pression l’armée et l’économie russes ainsi que sa position politique à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Les mesures que nous examinons n’auraient pas pour objectif premier la défense ou la dissuasion, même si elles pourraient contribuer aux deux. Ces mesures sont plutôt conçues comme des éléments d’une campagne destinée à déséquilibrer l’adversaire, en amenant la Russie à se battre dans des domaines ou des régions où les États-Unis ont un avantage, et en amenant la Russie à se surpasser sur le plan militaire ou économique ou en lui faisant perdre son prestige et son influence au niveau national et international ».

Rand énumère des mesures économiques, géopolitiques, idéologiques et informationnelles, ainsi que des mesures militaires que les États-Unis devraient prendre pour affaiblir la Russie. Depuis la publication de ce rapport, les quatre premières des six « mesures géopolitiques » énumérées au chapitre 4 ont été mises en œuvre.

Les États-Unis ont livré des armes mortelles à l’Ukraine et ont augmenté leur soutien aux « rebelles » en Syrie. Ils ont tenté un changement de régime en Biélorussie et ont déclenché une guerre entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Les États-Unis appliquent actuellement la mesure 5, qui vise à « réduire l’influence de la Russie en Asie centrale ».

Le Kazakhstan, voisin méridional de la Russie, faisait partie de l’Union soviétique. C’est un pays enclavé, riche en minéraux, dont la superficie est trois fois supérieure à celle du Texas, mais qui compte moins de 20 millions d’habitants. Une grande partie de sa population est russe et la langue russe est couramment utilisée. Le pays est un maillon important de l’initiative stratégique Ceinture et Route entre la Chine et l’Europe.

 

Depuis la disparition de l’Union soviétique, le pays est dirigé par des clans familiaux oligarchiques, au premier rang desquels les Nazarbaïev. Comme le note le Worldfactbook de la CIA:

« Pouvoir exécutif

Chef de l’État : Président Kassym-Jomart Tokaïev (depuis le 20 mars 2019) ; note – Noursoultan Nazarbaïev, qui était président depuis le 24 avril 1990 (et au pouvoir depuis le 22 juin 1989 sous la période soviétique), a démissionné le 20 mars 2019 ; Nazarbaïev a conservé le titre et les pouvoirs de « premier président » ; Tokaïev a achevé le mandat de Nazarbaïev, qui a été raccourci en raison de l’élection anticipée du 9 juin 2019, puis a continué à être président après sa victoire électorale ».

Au cours de la dernière décennie, plusieurs soulèvements (2011, 2016 et 2019) ont eu lieu au Kazakhstan. Ceux-ci ont été principalement causés par une répartition inégale des revenus tirés de ses minerais, notamment du pétrole et du gaz. Les oligarques de la capitale Astana/Noursoultan vivent bien tandis que les provinces qui produisent les minéraux, comme Manguistaou dans le sud-ouest, ont connu peu de développements.

Récemment, le prix du gaz de pétrole liquéfié (GPL), utilisé par de nombreuses voitures au Kazakhstan, a augmenté après la libéralisation du marché par le gouvernement. Cela a provoqué une nouvelle série de protestations dans tout le pays :

« La série de rassemblements qui a déchiré le Kazakhstan depuis le 2 janvier a commencé dans la ville pétrolière de Janaozen, dans l’ouest du pays, ostensiblement déclenchée par la colère provoquée par une hausse soudaine du prix du carburant pour les voitures. Des rassemblements impromptus similaires se sont ensuite rapidement étendus aux villages voisins de la région de Manguistaou, puis à de nombreux autres endroits de l’ouest, dans des villes comme Aktaou, Atyraou et Aktioubé. Le 4 janvier, les gens étaient descendus en nombre dans les rues à plusieurs centaines de kilomètres de là, dans les villes de Taraz, Chimkent et Kyzylorda au sud, dans les villes d’Oural et de Kostanaï au nord, ainsi qu’à Almaty et Noursoultan, la capitale, entre autres.

Peu de gens ont vu des scènes aussi enflammées que celles d’Almaty, cependant.

Les affrontements à Almaty se sont poursuivis toute la nuit du 5 janvier. Après avoir été dispersée par la police depuis la place de la République, une partie de la foule s’est dirigée vers un autre lieu historique de la ville, la place Astana, où se trouvait le siège du gouvernement à l’époque soviétique, à environ deux kilomètres en aval.

Bien qu’il n’y ait guère de moyen fiable d’évaluer l’ampleur des manifestations, une combinaison de rapports sur le terrain et de séquences vidéo semble indiquer que ces protestations pourraient être encore plus importantes que celles qui ont amené le pays à un quasi-arrêt en 2016.

Alors que les griefs qui ont déclenché les premiers rassemblements à Janaozen concernaient le prix du carburant, les manifestations parfois bruyantes qui ont suivi semblent être de nature plus générale. Les chants de « shal ket ! » (« À bas le vieux ! »), généralement compris comme une référence à l’ancien président Noursoultan Nazarbaïev, qui continue d’exercer une influence considérable dans les coulisses, ont été entendus lors de nombreuses manifestations ».

Les manifestations ont rapidement dégénéré, des bandes de manifestants armés prenant le contrôle de bâtiments gouvernementaux et y mettant le feu. Ils ont également tenté de prendre le contrôle de stations de radio et de télévision ainsi que de l’aéroport. La police, qui n’est généralement pas intervenue, a été abattue.

Les actions menées à Almaty, la plus grande ville du pays et ancienne capitale, ne sont certainement pas des réactions spontanées d’une foule de travailleurs pauvres, mais des actions contrôlées par des groupes de « rebelles » armés et bien entraînés.

Peter Leonard @Peter__Leonard – 9:18 UTC · 6 Jan 2022

« Kazakhstan : Détail très important et intriguant avec de fortes nuances du Kirghizistan 2020. Des personnes pacifiques initient des rassemblements, mais des individus louches et violents se présentent pour semer le trouble, et on ne sait jamais très bien qui ils sont ni d’où ils viennent.

D’après un récit que j’ai entendu, une dynamique similaire s’est déroulée à Almaty mercredi matin. Un rassemblement relativement petit et modéré s’est formé sur la place de la République, en face de l’hôtel de ville. Tout à coup, des centaines d’hommes extrêmement agressifs sont arrivés, menaçant tout et tous

Ils ont menacé et attaqué les journalistes qui se trouvaient à proximité, ordonnant à tous ceux qui prenaient des photos de les effacer. C’est clairement cette cohorte qui a été responsable d’une grande partie des destructions. Et c’est un mystère (pour moi) de savoir qui ils étaient »

Nous avons vu des formations similaires lors des soulèvements fomentés par les États-Unis en Libye, en Syrie, en Ukraine et en Biélorussie.

NEXTA, le réseau médiatique polonais financé par les États-Unis pour le changement de régime, qui a dirigé l’année dernière la tentative ratée de révolution de couleur en Biélorussie, a annoncé les exigences des États-Unis :

NEXTA @nexta_tv – 13:52 UTC · Jan 5, 2022

Exigences des manifestants au Kazakhstan
1. Libération immédiate de tous les prisonniers politiques.
2. Démission totale du président et du gouvernement
3. Réformes politiques :
Création d’un gouvernement provisoire de citoyens réputés et publics. Retrait de toutes les alliances avec la Russie.

Une source plus fiable confirme ces propos :

Maxim A. Suchkov @m_suchkov – 14:43 UST · Jan 5, 2022

« La liste des revendications des manifestants au Kazakhstan qui circule est intéressante, c’est le moins que l’on puisse dire. Alors que la plupart des demandes se concentrent sur le renforcement du soutien social et économique et sur la lutte contre la corruption, les points 1, 7, 10, 13 et 16 exposent les racines de la protestation et qui en est le moteur. Le point 1 demande que le Kazakhstan quitte l’Union économique eurasiatique. Le point 7 demande la légalisation de la polygamie « pour certains groupes de la population » et l’interdiction du mariage avec des étrangers.Le n°10 exige l’indépendance de la région de Manguistaou et que les revenus des compagnies pétrolières restent à Manguistaou ».

Attention : cette liste a beaucoup circulé sur Telegram – elle pourrait être fausse ou ne pas être représentative de ce que veulent les manifestants, mais il semble que les manifestants constituent un groupe diversifié comprenant des personnes réellement mécontentes, des manipulateurs politiques, des « révolutionnaires professionnels » (qui étaient en Ukraine et en Biélorussie), etc.

Le gouvernement du Kazakhstan a depuis baissé les prix du GPL. Le 5 janvier, le président Tokaïev a relevé le « premier président » Nazarbaïev de son poste de président du Conseil de Sécurité et a promis de sévir contre les manifestants armés.

Le Kazakhstan fait partie de l’Union économique eurasiatique (UEE), menée par la Russie, ainsi que de l’Organisation du Traité de Sécurité collective (OTSC). Dans la matinée du 5 janvier, Tokaïev a eu un entretien téléphonique avec les présidents de la Russie et de la Biélorussie. Il a mobilisé des unités aéroportées des forces armées du Kazakhstan. Dans la soirée du 5 janvier, il a demandé le soutien de l’OTSC contre les « terroristes dirigés par des étrangers » qui combattent les forces de sécurité.

La Russie, la Biélorussie et d’autres membres de l’OTSC disposent de forces de réaction rapide réservées à de telles interventions. Elles vont maintenant être mobilisées pour reprendre le contrôle du gouvernement au Kazakhstan. Les forces russes de l’OTSC sont actuellement en route pour le Kazakhstan. Les troupes biélorusses et arméniennes suivront bientôt.

Ils sont promis à des moments difficiles :

Cᴀʟɪʙʀᴇ Oʙsᴄᴜʀᴀ ❄ @CalibreObscura – 19:50 UTC · Jan 5, 2022

« Kazakhstan : Armes capturées dans le bâtiment du Comité de Sécurité nationale (équivalent du FSB russe) par des manifestants à Almaty : Au moins 2 projectiles PG-7V,
possible pistolet Glock & (peut-être) plus dans de nombreuses caisses éparpillées, kit divers. Capacité anti-blindage dans 48 heures… »

Au cours des dernières décennies, les États-Unis et leurs alliés ont été relativement discrets au sujet de la direction dictatoriale du Kazakhstan.

Mark Ames @MarkAmesExiled – 14:18 UTC · Jan 5, 2022

« Les « experts » de l’ex-Union soviétique de l’OTAN travaillent déjà d’arrache-pied pour faire croire que les soulèvements au Kazakhstan sont d’une manière ou
d’une autre la faute de Poutine – mais notez combien notre complexe médias-ONG a été silencieux ces 20 dernières années en ce qui concerne les violations des droits
de l’homme, la corruption et « l’autoritarisme » du régime ».

Chevron est le plus grand producteur de pétrole du Kazakhstan et l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair a déjà donné des conseils au président de l’époque, Noursoultan Nazarbaïev, sur la manière d’éviter un tollé après la mort de manifestants :

« Dans une lettre adressée à Noursoultan Nazarbaïev, obtenue par le Telegraph, M. Blair a déclaré au président kazakh que la mort de 14 manifestants, « aussi tragique soit-elle, ne doit pas occulter les énormes progrès » réalisés par son pays.

Blair, qui est payé des millions de livres par an pour conseiller M. Nazarbaïev, suggère ensuite des passages clés à insérer dans un discours que le président prononçait à l’Université de Cambridge, pour défendre son action ».

Les temps sont toutefois différents aujourd’hui, le Kazakhstan ayant continué à renforcer ses relations avec la Russie et la Chine.

La National Endowment for Democracy, émanation de la CIA, finance une vingtaine de programmes de changement de régime de la « société civile » au Kazakhstan à hauteur d’environ 50 000 dollars par an chacun. Les organisations impliquées semblent pour l’instant plutôt discrètes, mais elles sont un signe certain que les États-Unis jouent un rôle dans les coulisses. Le 16 décembre, l’ambassade des États-Unis au Kazakhstan a annoncé les détails des manifestations à venir.

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Il est probable que cette partie du programme « Extension Russie » consacrée à l’Asie centrale a été mise en œuvre prématurément en réponse au récent ultimatum de la Russie concernant l’Ukraine et l’OTAN. Son seul objectif est de déséquilibrer les dirigeants russes à Moscou en détournant leur attention vers le sud. Je pense toutefois que la Russie s’est préparée à de telles éventualités. Elles n’affecteront pas ses plans et ses exigences. Ce qui est difficile à discerner, en revanche, c’est ce qui se passe réellement dans les coulisses d’Astana/Noursoultan. Tokaïev, qui était auparavant considéré comme une simple marionnette de NazarbaÏev, l’a-t-il réellement remplacé ? Son contrôle sur les forces de sécurité est quelque peu remis en question :

Liveuamap @Liveuamap – 19:18 UTC · Jan 5, 2022

« Tokaïev a limogé le chef de sa garde de sécurité Saken Isabekov. Le président a également démis de ses fonctions le chef adjoint du service de sécurité de l’État de la République du Kazakhstan ».

Mais l’issue de tout ce jeu est assez prévisible :

Mark Ames @MarkAmesExiled – 14:31 UTC · Jan 5, 2022

« Il est fort probable, compte tenu de toutes les « révolutions » qui ont eu lieu dans l’ex-Union soviétique au cours des 20 dernières années, que les manifestations de rue
au Kazakhstan soient instrumentalisées par un clan puissant pour remplacer l’oligarchie au pouvoir par une nouvelle oligarchie. »

Les troupes de l’OTSC qui débarquent actuellement à Almaty mettront quelques jours à mettre fin à la rébellion. L’issue ne fait aucun doute. Moscou, et non Washington DC, aura son mot à dire sur l’identité du vainqueur. Il est tout à fait possible que les résultats de toute cette affaire, comme les tentatives ratées de changement de régime par les États-Unis en Biélorussie, n’affaiblissent pas la Russie mais la renforcent :

Dmitri Trenin @DmitriTrenin – 7:57 UTC · 6 Jan 2022

« Le Kazakhstan est un autre test, après la Biélorussie, de la capacité de la Russie à aider à stabiliser ses alliés officiels sans s’aliéner leurs populations. En tant que première action de l’OTSC depuis sa création en 1999, c’est un test majeur pour le pays. Beaucoup d’embûches potentielles, mais une réussite de Moscou peut être un atout majeur ».

Moon of Alabama

Source : https://www.moonofalabama.org

Traduction Olinda/Arrêtsurinfo


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