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Charles Prats: «Il existe des millions de zombies dans les fichiers de la sécurité sociale!»

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Pour le magistrat, les résultats de la dernière mission d’enquête parlementaire sur la fraude sociale sont particulièrement inquiétants. On y apprend notamment que l’administration comptabilise officiellement 3,1 millions de centenaires réputés en vie, alors que le dernier recensement en dénombrait... 21 000.
Charles Prats, magistrat, a été en charge de la coordination de la lutte contre la fraude aux finances publiques au ministère des finances de 2008 à 2012.


FIGAROVOX.- Le nouveau rapport parlementaire sur la fraude sociale semble beaucoup plus inquiétant que celui rendu en juin dernier par le sénateur Vanlerenberghe. Pourquoi ces contradictions?
Charles PRATS.- En décembre dernier le public découvrait ce que nous dénoncions depuis des années: la fraude aux numéros de sécurité sociale à l’aide de faux documents. Cette fraude concernait les numéros attribués aux personnes nées à l’étranger. Les investigations menées en 2011 par le ministère du budget avaient permis de l’évaluer à 1,8 million de numéros de sécurité sociale frauduleusement obtenus. Ce qui représentait environ 14 milliards d’euros annuel d’enjeu potentiel. Cette information, largement reprise, avait d’ailleurs été très fortement contestée par les tenants du #YaPasDeFraude en matière de prestations sociales. Une mission spéciale avait été diligentée par le rapporteur général du budget de la sécurité sociale de la commission des affaires sociales du Sénat.
11,9 millions de personnes nées à l’étranger ont été bénéficiaires de prestations sociales... alors que l’INSEE n’en compte que 9,5 millions maximum.
Cette mission a bien rendu un rapport en juin dernier, qui conclut globalement sur le caractère très subsidiaire de ces fraudes. Il suffit pourtant de lire attentivement ce document pour constater qu’il ne tire pas les conclusions de ses propres découvertes: 56,4 % des numéros de sécurité sociale attribués à des personnes nées à l’étranger ont touché des prestations sociales dans les 12 mois précédents. Rapporté au stock, cela signifie que 11,9 millions de personnes nées à l’étranger ont été bénéficiaires de prestations sociales sur l’année, alors que le recensement INSEE et les chiffres relatifs aux retraités à l’étranger permettent d’estimer à environ 9,5 millions grand maximum le nombre de personnes pouvant correspondre à ce critère. Mis publiquement face à ses contradictions dans un article du Figaro , le sénateur publiait une deuxième version de son rapport expliquant que son échantillon représentatif se basait sur un stock plus réduit. Il publiait sa propre estimation en laissant apparaître un «surplus» de 1,5 million de personnes nées à l’étranger ayant perçu concrètement des prestations en plus de celles existant réellement selon les instituts statistiques. Mais n’en tirait aucun enseignement... Il était impensable d’en rester là, c’est pourquoi le gouvernement a décidé de nommer la sénatrice UDI Nathalie Goulet et la députée LREM Carole Grandjean en mission pour faire la lumière sur ce sujet et plus globalement sur la fraude aux prestations sociales.
Quelles sont les principales découvertes de ce nouveau rapport?
Cette mission, au cours de laquelle j’ai été auditionné, s’est donc notamment attachée à effectuer le simple contrôle de cohérence, méthode d’audit de premier niveau, qui consiste à comparer le nombre de numéros de sécurité sociale existant dans le système pour des gens censés être en vie avec le nombre de personnes existant réellement au regard des données du recensement INSEE. Les premiers éléments obtenus par cette mission, dévoilés ce 3 septembre 2019, sont particulièrement inquiétants: l’INSEE a en effet très officiellement indiqué aux parlementaires que le répertoire national d’identification des personnes physiques comportait 84,2 millions d’identités correspondent à des personnes réputées en vie, alors que le recensement fait état de 67 millions d’individus dans le pays, nés en France ou à l’étranger!
Sur ces 84,2 millions de numéros de sécurité sociale, 18,7 millions sont nés à l’étranger et donc 65,5 millions sont nés en France. Or le recensement INSEE nous apprend que seulement 7,9 millions de personnes nées à l’étranger sont sur le territoire français et donc 59,1 millions de personnes nées en France sont de même sur le territoire. Globalement, les données transmises par l’INSEE à la mission d’enquête ont donc permis de constater que 6,4 millions de numéros de sécurité sociale de personnes réputées en vie et nées en France correspondraient à des «fantômes» sans aucune explication à ce stade. De même environ 9,5 millions de numéros de sécurité sociale de personnes réputées en vie et nées à l’étranger apparaitraient en surplus par rapport au nombre de personnes nées à l’étranger devant être dans le système social (en tenant notamment compte des retraités habitant à l’étranger ou des habitants de certains territoires d’Outre-Mer).
Ces incohérences pourraient-elle être simplement des conflits de données administratives? Dans quelle mesure cela révèle-t-il un potentiel frauduleux?
Un autre exemple démontre l’étendue du problème. La mission s’est également attachée à enquêter sur le cas des personnes centenaires dans le système social français. L’INSEE a indiqué aux parlementaires que la France comptait 3,1 millions de centenaires réputés en vie! 1,5 million de centenaires nés en France, ainsi que 1,6 million de centenaires nés à l’étranger. Le dernier recensement faisait pourtant état de 21.000 centenaires vivant en France... L’INSEE a indiqué aux parlementaires que la transmission des actes de décès pouvait être compliquée pour les personnes nées à l’étranger. Dont acte. Cela concerne donc globalement 1,6 million de centenaires. En revanche, concernant les personnes en France, l’INSEE a indiqué que le système fonctionnait très bien, avec une mise à jour hebdomadaire des actes de décès qui seraient parfaitement transmis par les communes. On espère que nous n’avons pas trois millions de centenaires percevant retraites et prestations mais il faut avouer que se pencher sérieusement sur la gestion du fichier social eu égard à ce scoop révélé par l’enquête parlementaire semblerait utile!
À la lumière de ces éléments, votre précédente estimation d’un enjeu de fraude aux environs de 14 milliards d’euros pourrait donc révéler trop... basse?
La fraude pourrait se monter à plusieurs dizaines de milliards d’euros.
Sans même se pencher sur le reste des problématiques relatives à la fraude aux prestations sociales, la démonstration par la mission d’enquête de la présence de millions de numéros de sécurité sociale «zombies» dans le système français implique la nécessité d’agir immédiatement eu égard au montant potentiel de fraude aux prestations sociales, qui pourrait plutôt se monter à plusieurs dizaines de milliards d’euros en l’espèce... Afin de mieux caractériser le problème, il serait maintenant utile de rapidement procéder à de multiples requêtes dans le Registre national commun de la protection sociale afin de déterminer le nombre réel de bénéficiaires de prestations sociales et de pouvoir le comparer avec les données de l’INSEE relatives aux personnes existant réellement.
Ce contrôle devient indispensable et cette mission parlementaire vitale à l’heure où l’on parle notamment de réforme des retraites et donc de baisse des pensions des retraités français puisqu’il vient d’être démontré que le doute existe pour 17 millions de numéros de sécurité sociale, soit 20 % des identités du système social national... qui distribue plus de 700 milliards d’euros chaque année. Chacun peut dès lors calculer l’enjeu financier annuel potentiel de dépenses indues de sécurité sociale si une part significative de ces numéros «zombies» perçoivent des prestations.
Existe-t-il une solution concrète? On a l’impression que les services de l’État sont dépassés!
Seul un passage à la biométrisation des numéros de sécurité sociale avec obligation pour tous de se réimmatriculer peut permettre de gérer ce problème efficacement et à moindre coût. La technique existe et peut même s’appuyer sur la blockchain. Frauder c’est voler, celui qui fraude doit être sanctionné. Mais pour cela il faut le détecter. La remise à plat des numéros de sécurité sociale est une étape indispensable pour cela.

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