Depuis 2011 se déverse un torrent continu d’informations inexactes, incorrectes et malhonnêtes à propos de ce qui se passe en Syrie. J’ai déjà écrit sur le danger des informations simplistes qui tentent d’expliquer le conflit, un discours qui prévaut depuis ces cinq dernières années et qui soulève un problème bien plus fondamental.
Le discours dominant au sujet de la Syrie est devenu si agressif, déconnecté du terrain et sans nuances, que tout qui ose mettre en question les idées reçues sur la révolution en cours ou contester les arguments de ceux qui défendent l’idée d’une zone d’exclusion de l’espace aérien pour les Occidentaux peut s’attendre à une vive réaction. De tels désaccords sont immédiatement pointés et leurs auteurs accusés d’être « Assadistes » ou « pro-Assad » et coupables de cruelle indifférence aux souffrances du peuple syrien. Une des nombreuses vérités oubliées dans ce discours est que la création d’une zone d’exclusion aérienne, de l’aveu même d’un haut responsable militaire U.S, signifie l’entrée en guerre des Etats-Unis « contre la Syrie et la Russie ». Je veux préciser d’emblée que j’écris cela après avoir vécu en Syrie et gardé de cette époque d’excellents souvenirs. Je reste en contact avec de nombreux amis syriens dont la plupart ont aujourd’hui dû quitter leur pays. Il m’est dès lors particulièrement difficile d’encaisser les accusations de malveillance à l’égard des revendications des Syriens et de leur patrie.
Dans le contexte actuel, exprimer un avis à peine contraire, pointer des faits basiques mais mal perçus tels que l’existence d’un soutien populaire pour le gouvernement syrien, relever la violence des groupes rebelles… Tout cela suffit à attirer sur soi les persiflages et l’hostilité des médias sociaux. Ces attaques sont rarement des confrontations d’opinions, elles se réduisent le plus souvent à des attaques personnelles, hystériques, au vitriol ou pire. Une poignée d’arguments sont à chaque fois soulevés pour s’en prendre à ceux qui contestent l’opinion imposée : ce serait de l’islamophobie que de critiquer l’action des groupes rebelles ou de les qualifier d’extrémistes; et ce serait de l’orientalisme négateur de la personnalité syrienne que de mettre en évidence le rôle central de l’impérialisme U.S. Même les critiques les plus légitimes se trouvent qualifiées de « fascistes », « stalinistes », poutinistes » ou les trois à la fois. Une telle stigmatisation des opinions contradictoires a pour but de faire taire toute opposition, de laisser le champ libre à la version imposée du récit et de justifier l’éventuel soutien de l’opinion en faveur d’une possible intervention en Syrie.
C’est évidemment une stratégie qui a connu un fameux précédent avec le traitement accordé aux nombreux opposants à l’intervention de l’OTAN en Libye en 2011 et à l’intervention de l’alliance US/UK en Irak en 2003. Cela reste malheureusement un moyen efficace de faire taire les dissensions et d’imposer les paramètres souhaités au débat. Ces épisodes passés font que les opinions en faveur d’un plus fort engagement des Occidentaux en Syrie ont monopolisé le débat médiatique et ont contrôlé le récit. Plusieurs de mes interlocuteurs admettent se sentir mal à l’aise pour écrire ou parler honnêtement de ce qui se passe en Syrie, de sorte qu’ils se censurent ou évitent d’aborder le sujet. Beaucoup aussi reconnaissent la profonde différence des propos partagés avec leurs amis et connaissances qui travaillent à un titre ou l’autre sur la Syrie et leurs déclarations publiques.
Je ne me suis jamais tu sur le sujet dans le débat public, mais je reconnais m’être parfois trouvé dans des situations inconfortables. Je n’ai sans doute pas écrit autant sur le sujet que j’aurais dû. Il est dès lors fort probable à la suite de cet article que certaines personnes dont je parle m’attaqueront en public comme une sorte de crypto-fasciste Assadiste , de comparse du couple Poutine/Iran ou d’imposteur anti-impérialiste blanc égaré ; beaucoup se tairont mais n’en penseront pas moins. Néanmoins, en dépit de l’incertitude à court terme sur les orientations de la politique étrangère U.S suite à l’élection de Donald Trump, une intervention militaire U.S en Syrie avec pour objectif un changement du régime ou une partition du pays n’est pas à exclure. Je ressens dès lors comme une obligation pour moi et pour les autres de s’exprimer clairement afin de mettre un terme aux discussions oiseuses et jamais contredites qui ont cours depuis trop longtemps. Bassam Haddad a fait observer récemment que les discussions sur la Syrie étaient au point mort ; au Royaume Uni, comme souvent dans ce genre de situation, elles se poursuivent encore mais elles sont dominées par un petit groupe d’activistes qui savent se faire entendre. Ceux dont je parle – la majorité d’entre eux ne sont pas Syriens – ne forment pas un groupe monolithique. Mais ce qui les unit est leur soutien inconditionnel à la création d’une zone d’exclusion aérienne (ce qui s’avère être clairement une prise de position en faveur de la guerre), un soutien aux casques blancs et un profond mépris pour toute prise de position anti-impérialiste concernant une éventuelle intervention en Syrie. Nombre d’entre eux partagent aussi une analyse incorrecte et pour tout dire malhonnête de l’intervention de l’OTAN en Libye en 2011 qui est fréquemment évoquée pour justifier leur prise de position sur la Syrie.
Dans ce cadre, je veux préciser que je ne suis pas opposé à toute intervention occidentale simplement parce que cela ne servirait à rien comme certains le disent ; je le dis car je ne crois pas que ce type d’intervention aurait un objectif purement humanitaire. Ce point est crucial parce que, admettre la prémisse humanitaire avant d’entamer le moindre débat serait déjà se déforcer dans la discussion. Soutenir l’idée que les Etas-Unis ou le Royaume Uni seraient encouragés à intervenir en Syrie ou n’importe où ailleurs par un désir sincère de mettre un terme à une effusion de sang serait foncièrement malhonnête et non historique. Au contraire, une intervention de ce type, en tuant plus de civils encore, constituerait une escalade majeure et intéressée de l’Occident dans sa campagne d’agression contre l’état Syrien. Une telle escalade accroîtrait non seulement les risques de démembrement permanent de la Syrie souhaité fermement et depuis longtemps par certaines parties, mais elle serait aussi l’amorce d’un conflit avec la Russie dont les conséquences pourraient être catastrophiques.
Aucune guerre n’a été à ce point médiatisée avec mauvaise foi que l’actuel conflit syrien. Cet article tente de corriger quelques énormes mensonges qui circulent, de montrer à quel point certaines voix dissonantes sont exclues du débat par l’intimidation et les calomnies, et de démasquer aussi les propos prétendument neutres de certaines voix au sujet du conflit.
Le mythe de la non-intervention occidentale
Un des nombreux mensonges qui polluent le récit dominant serait la non intervention de l’Occident dans le déclenchement du conflit en Syrie. Ainsi, Amnesty International a récemment présenté le Royaume Uni comme restant en marge du conflit. Cette déclaration fondamentalement fausse semble ignorer les nombreuses années au cours desquelles l’Occident et ses alliés régionaux (essentiellement la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar) ont armé, financé et entraîné les groupes rebelles, les sanctions économiques invalidantes imposées contre le gouvernement syrien, les attaques aériennes ininterrompues, les opérations des forces spéciales et plein d’autres mesures diplomatiques, militaires et économiques qui ont été prises. Non seulement les Occidentaux (principalement les Etats-Unis) sont intervenus, mais ils l’ont fait à très grande échelle. Ainsi, en juin 2015, on a appris que l’engagement de la CIA en Syrie était « devenu un des plus importants de l’agence » pour lequel elle dépensait environ un milliard de dollars par an (environ 1/15 de son budget officiel). A l’époque, cette opération basée en Jordanie avait déjà « entraîné et équipé 10.000 combattants envoyés en Syrie au fil des années précédentes ». Comme l’a fait remarquer Patrick Higgins, « en d’autres termes, les Etats-Unis préparaient une opération de grande envergure contre la Syrie et peu d’Américains s’en étaient rendus compte ».
Il est essentiel de replacer cette agression dans le contexte de la vieille animosité US contre le gouvernement syrien. Comme l’ont révélé les publications de messages diplomatiques de WikiLeaks, à partir d’au moins 2006, les Etats-Unis se sont efforcés de torpiller ce gouvernement par « tous les moyens possibles ». Cela comprenait, avec l’aide de l’Arabie Saoudite, l’encouragement du fondamentalisme et du sectarisme islamique en Syrie en jouant sur les peurs de l’influence iranienne. En fait, bien que cela soit rarement signalé, il ressort de l’interview télévisée d’un ancien fonctionnaire de l’espionnage US par Mehdi Hassan que l’initiative de l’administration Obama visant à soutenir l’installation de Daesh et d’autres groupes islamistes extrémistes en Syrie et en Irak était considérée comme une très sage décision. La BBC a récemment signalé que Daesh utilisait des munitions récemment achetées légalement en Europe de l’Est par les Etats-Unis et le gouvernement saoudien qui les faisaient ensuite parvenir en Syrie et en Irak via la Turquie « parfois moins de deux mois après leur sortie d’usine ».
Quand l’intervention US en Syrie a été reconnue, elle a été chaque fois présentée comme insuffisante et menée à trop petite échelle. Le professeur Gilbert Achcar de SOAS a fait remarquer que « le soutien de Washington à l’opposition syrienne relevait plus de la plaisanterie que d’une entreprise sérieuse ». Alors que Achcar avait fait cette réflexion six mois après les révélations concernant l’énorme scandale des opérations de la CIA en Syrie, il est difficile d’imaginer le niveau qu’aurait dû atteindre ce soutien militaire pour paraître plus qu’une plaisanterie. Ce récit mensonger d’une intervention US inexistante ou inappropriée associé à sa justification émaillée de propos injurieux est courante, y compris chez les commentateurs qui écrivent pour la presse de gauche. Certains gourous comme Murtaza Hussain (The Intercept) ont été jusqu’à affirmer que les Etats-Unis étaient intervenus en Syrie mais « en faveur d’Assad« , propos absurdes que Glenn Greenwald a également exprimés.
Une atmosphère d’intimidation
Je rapporte l’anecdote suivante non pas pour me présenter en victime ou susciter de la sympathie mais plutôt pour donner un exemple du niveau auquel est tombé le discours sur la Syrie et pour aider à comprendre pourquoi tant de personnes ont peur de prendre part à ce débat. En août 2016, Murtaza Hussain interviewait Mostafa Mahamed, alors porte-parole de Jabhat Fatah al-Sham, la nouvelle appellation de Jabhat al Nustra ( al-Qaeda en Syrie), à une époque où les médias occidentaux assuraient, sans aucun esprit critique d’ailleurs, une certaine couverture du groupe. Au fil de cette interview, Mahamed développait sa vision sur le futur de la société syrienne et le rôle qu’y tiendrait le Jabhat Fatah al-Sham. En revoyant cet interview, je fus surpris de constater que contrairement à une interview de Mahamed à Sky News quatre jours plus tôt, Hussain n’avait pas jugé opportun de poser la question de savoir pourquoi Mahamed, un fondamentaliste australien né égyptien, dépourvu de liens avec le pays, devrait avoir son mot à dire sur l’avenir de la société syrienne. Je posai donc la question à Hussain sur Twitter et il écarta ma question avant de déclarer sèchement : « C’est amusant de de voir comme les Assadistes ressemblent vite à Mark Regev ». En me répondant ainsi et sans autre commentaire, il me dénonçait comme un assadiste à ses 50.000 followers. Il m’assimilait aussi à bon compte à l’un des plus répugnants propagandistes d’Israël.
Cette sordide façon de répondre pour délégitimer un interlocuteur qui vous interroge poliment sur votre travail, cette façon de suggérer que la question n’est posée que dans une perspective assadiste, est révélatrice d’une tendance largement répandue dans le milieu. Suite à cet échange, nombre de personnes se sont interrogées sur l’attitude de Hussain à mon égard. Une de ces personnes, la journaliste américaine Rania Khalek, est par la suite devenue la première victime de cette attitude. Khalek, déjà très critiquée à l’époque, a été littéralement assaillie pour ses commentaires sur le Syrie au point qu’en octobre 2016, après avoir accepté de participer à une conférence à Damas, elle fut contrainte de se retirer comme éditrice à « Electronic Intifada »
Ironiquement, Khalek n’avait en fin de compte même pas pris part à la conférence, tandis que de nombreux autres journalistes conventionnels y ayant participé ne reçurent aucune critique. Khalek était spécifiquement ciblé depuis de nombreux mois par un groupe dont faisait partie Oz Katerji, travaillant actuellement pour le radiodiffuseur public turque TRT World, ainsi que son confrère journaliste Charles Davis. Katerji avait prévenu Khalek dans un message explicite : « Change ta rhétorique ou nous continuerons notre campagne contre toi ». Il avait également envoyé des messages du même acabit à l’une des collègues de Khalek, Asa Winstanley.
Une récente enquête du journaliste Américain Max Blumenthal a déclenché de furieuses réponses et dans la foulée, une campagne d’intimidation similaire à celle dont Khalek fut l’objet. Dans son enquête, Blumenthal rapporta de nombreux faits gênants concernant les Casques Blancs et le groupe de lobbying la Syria Campaign (tous deux prônant fortement l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne). Ces faits gênants avaient semé la débâcle parmi les nombreux supporters des deux groupes.
L’enquête de Blumenthal, dont je recommande la lecture, est basée sur des faits. C’est tout sauf une « calomnie» comme elle fut largement dépeinte.
La fureur de la réaction face au travail de Blumenthal m’a décontenancé. Pas seulement parce que la plupart des informations qu’il contenait était déjà bien connues dans quelques cercles en ligne et avaient déjà été publiées ailleurs auparavant ; mais parce que Blumenthal n’avait pas enquêté sur les allégations explosives selon lesquelles les Casques Blancs auraient faussé certaines images et séquences.
Ces accusations (sans mentionner qu’elles avaient été décriées comme étant sans pitié et dégoutantes) ont par la suite reçu un quelconque crédit après qu’un étrange incident soit survenu dans une vidéo (qui a depuis été supprimée), postée par les Casques Blancs lors d’un mannequin challenge, dans laquelle deux de ses membres ainsi qu’un homme soi-disant blessé et piégé dans des décombres, posaient silencieusement et sans le moindre mouvement pendant trente secondes avant qu’un sauvetage dramatique ne commence et que l’homme se mette subitement à crier de douleur.
Malgré cette omission, après que son enquête fut publiée, Blumenthal fut immédiatement attaqué et insulté par nombre de personnes proéminentes en Syrie ;
Robin Yassin-Kassab l’a traité de « sale profasciste » cherchant « désespérément l’attention, et à distraire du génocide et des crimes impérialistes russes ». Muhammad Idrees Ahmad, qui a déclaré que les Casques Blancs étaient sa famille et qu’ «une attaque envers eux est une attaque envers moi », a réagi à l’article dans une furie similaire.
En effet, Blumenthal a déclaré penser que la plupart des appels téléphoniques abusifs et menaçants qu’il a reçu après la publication de l’enquête étaient en fait l’œuvre d’Idées Ahmad. En réponse à ce travail, un journaliste de BuzzFeed, Borzou Daragahi, a employé une autre stratégie couramment utilisée pour salir les positions politiques de gauche, à savoir leur « pathologisation ». Daragahi a déclaré que « l’obsession de la gauche avec les Casques Blancs est très déplacée et démontre très probablement des complexes maternels irrésolus ainsi que de nombreux troubles psychologiques parmi cette gauche».
Daragahi a poursuivi en donnant plus de détails sur cette analogie obscène de violence conjugale en déclarant « peut-être papa bat-il maman comme Assad bombarde les civils. Vous vous sentez coupable de vous ranger aux côtes de votre père (Assad) et éprouvez de la rage envers maman (les civils) ». Précédemment, Daragahi a calomnié les anti-impérialistes de « pas très gauchistes, juste anti-Occidentaux, des gens en colère, des dérangés avec d’énormes troubles oedipiens ».
Dans un échange avec Vijay Prashad, Joey Ayoub de Global Voices a dénigré Blumenthal, le qualifiant de « pseudo journaliste avec un clair mépris pour les Syriens ». Une critique particulièrement hypocrite de la part d’Ayoub sachant que, dans une distorsion totale et brusque de la réalité, il a ensuite déclaré qu’il n’y avait pas deux camps en Syrie puisqu’ «une importante majorité des Syriens s’est élevée contre Assad ».
Pour Ayoub, écarter aussi effrontément une proportion substantielle de la Syrie seulement parce qu’elle n’est pas d’accord avec son point de vue, soulève de sérieux doutes quant à son objectivité.
Aucun d’entre eux ne fut capable de contredire la précision de l’investigation de Blumenthal. La réaction générale et parfois hystérique d’Ayoub, de Daraghi et d’autres n’est pas seulement due au fait que pour la première fois, un journaliste de la stature de Blumenthal osait critiquer Syria Campaign et les Casques blancs. Il apparait que la critique violente à l’égard de Blumenthal était surtout due au fait qu’il « était l’un des nôtres. » En effet, en 2012, Blumenthal avait démissionné de façon très spectaculaire du journal libanais Al-Akhbar, dénonçant sa prétendue position éditorialiste en faveur d’Assad. Une réponse forte à la décision de Blumenthal a été écrite par Sharmine Narwani (l’un des rédacteurs critiqués d’Al-Akhbar) et peut être lue ici.
Le traitement que Blumenthal et Khalek ont reçu est un bon indicateur de l’ampleur de la restriction du débat public sur la Syrie. Tous deux avaient exprimé dans le passé un sentiment « anti Assad » et n’avaient changé leur position vis à vis de la Syrie que récemment. Pourtant, malgré l’importance de leur profil, ou peut-être à cause de celle-ci, ils ont tous deux été largement attaqués en tant que supposés serviteurs impitoyables d’Assad ; et dans le cas de Khalek, la campagne contre elle la força à démissionner.
La campagne contre Jeremy Corbyn et le contexte au Royaume-Uni
Au Royaume-Uni, une attention significative a récemment été apportée à la position sur la Syrie de Jeremy Corbyn. Surtout après qu’Oz Katerji, dont nous avons déjà parlé et qui de ses propres aveux soutient explicitement la guerre contre la Syrie, a interrompu plusieurs fois Corbyn durant un événement de la coalition « Stop the War » en octobre 2016.
Cette critique de Corbyn fait partie d’une campagne plus vaste au Royaume-Uni qui a attaqué la coalition « Stop the War » et « la gauche » en général pour son refus de soutenir l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne ainsi que sa condamnation prétendument insuffisante des gouvernements russe et syrien.
La récente déclaration de Joey Ayoub selon laquelle il n’y aurait « littéralement aucune différence » entre « la plupart de la gauche occidentale et l’actuelle extrême droite » à l’égard de la Syrie, est typique de cette tendance. On peut voir Chris Nineham, vice-président de Stop the War, répondre calmement et efficacement dans cette interview.
L’écrivain Robin Yassin-Kassab a été l’un des critiques les plus virulents de Corbyn. Il est connu pour son roman paru en 2008 « The road to Damascus » et son récent livre « Burning Country: Syrians in Revolution and War » co-écrit avec Leila Al-Shami.
Yassin-Kassab se voit régulièrement attribué une importante tribune depuis laquelle il peut s’exprimer et écrire à propos de la Syrie, spécialement au Royaume-Uni.
Il fait référence à Corbyn par les termes de « pro-Poutine » et « pro-Khamenei » ainsi que « parasite staliniste ». Il a même été jusqu’à demander que le leader du parti travailliste soit déchu sur base de son supposé « Stalinisme (ou Poutinisme, Assadisme qu’importe le nom) ».
Il a vilipendé de manière similaire Jill Stein (la candidate du parti Vert à la présidentielle américaine), la traitant de « merde ridicule » et l’accusant de « frelater avec le criminel impérialiste Poutine ».
En addition à ces commentaires outrageux, Robin Yassin-Kassab a pris nombre de positions extrêmement problématiques qui remettent en question sa crédibilité en tant qu’orateur impartial sur la Syrie. Yassin-Kassab a ouvertement et à grands cris, appelé l’Occident à armer l’opposition en Syrie. Il a également catalogué l’idée selon laquelle les Etats-Unis seraient intéressés à un changement de régime en Syrie, de « fausse idée » par laquelle seraient obsédés les gauchistes occidentaux.
En février 2013 durant une séance de questions-réponses après l’interprétation de la pièce Sour Lips d’el-Khairy, je l’ai entendu prétendre spécieusement que la situation en Syrie était directement comparable à celle en Palestine, c’est à dire à un conflit entre colonisateurs (Israel/Assad) et colonisés (Palestiniens/Syriens).
De façon déconcertante il a encensé en avril 2014 la « brillante » offensive de Lattakia et a spécialement remercié Erdogan et la Turquie pour « ses lignes d’approvisionnement » qui l’ont facilitée.
Cette offensive, qui a été menée par une coalition de groupes rebelles incluant Jabhat al-Nusra (l’équivalent d’Al-Qaïda en Syrie) s’en est prise à des zones civiles. Une fois la ville de Kessab prise, la coalition a pillé les commerces et les maisons des Arméniens, pris en otage des familles et profané les trois églises de la ville, forçant près de 2000 Arméniens à fuir.
Plus inquiétant encore, en addition à ce qui vient d’être détaillé ci-dessus, Yassin-Kassab a adopté des positions incroyablement réactionnaires par rapport aux évènements en Syrie qui illustrent à quel point les idées de ces activistes sont extrêmes. Par exemple en décembre 2015, quand Zahran Alloush, leader du groupe soutenu par l’Arabie Saoudite, Jaish al-Islam a été tué lors d’une offensive aérienne, Yassin Kassab a publiquement appelé à la vengeance face à l’œuvre des « impérialistes russes ». Alloush était un extrémiste wahhabite impliqué dans bon nombre de violations brutales des droits de l’Homme, incluant la torture et l’assassinat tout comme la vente de nourriture et d’aide médicale à prix gonflés. En 2013, Alloush (qui était fermement opposé à la démocratie en Syrie) avait de fait annoncé le rétablissement du califat omeyyade et déclaré que « nous enterrerons ces têtes impures de chiites, si Dieu le veut ».
Il était bien peu probable que Yassin Kassab ait pu ignorer cela, ce qui fait de son appel à la vengeance d’un tel seigneur de guerre violemment sectaire, une sérieuse préoccupation. Il en va ainsi lorsque, dans une façon de penser sectaire avec laquelle Alloush aurait probablement été d’accord, Yassin Kassab a déclaré que « l’expansionnisme des chiites iraniens est la principale cause de la hausse du djihadiste sunnite ». Il a également défendu que « les milices chiites djihadistes transnationales iraniennes sont actuellement la plus grande source de sectarisme dans la région ». Dans ce contexte, il a même déclaré que « la plupart du peuple syrien dirait probablement que l’EI est mieux qu’Assad ».
Qu’un homme avec des opinions aussi extrêmes puisse être invité dans des festivals littéraires, dans des institutions culturelles ou encore des universités anglaises ou américaines, voir même dans des associations défendant les droits de l’Homme, ne fait que démontrer la fausseté du discours de l’opinion majoritaire sur la Syrie.
De concert avec tant d’autres personnes qui soutiennent une intervention militaire plus poussée en Syrie, Yassin-Kassab semble également faire preuve de déni face à la réalité des évènements en Lybie. En mai 2016, il a soutenu qu’en Lybie, une « révolte populaire » contre un « fasciste » qui massacrait son propre peuple avait eu lieu et qu’il était « occidento-centrique » de soutenir que la chute de Kadhafi était le résultat de l’intervention de la France, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis.
Ce point de vue a été partagé par de nombreux auteurs dont Ayoub, pour qui affirmer que la Lybie a été détruite [par les puissances impérialistes] est « méprisant envers les Libyens » qui ont mené la révolution démocratique contre Kadhafi. De plus, il décrit la Lybie comme étant un paradis en comparaison de la Syrie.
Cette interprétation des faits en Lybie a été totalement désapprouvée par de nombreuses sources dont un rapport du Comité des affaires étrangères du Royaume-Uni qui est plus amplement détaillé ci-dessous.
Le discours académique : Libye – un modèle pour la Syrie?
Le discours académique dominant vis à vis de la Syrie, sauf quelques exceptions notables, a été quasiment impossible à différencier de ce qui abonde dans la plupart des médias. En fait, nombre d’académiciens se sont montrés ouverts et, dans certains cas, fanatiquement favorables à une augmentation de l’intervention militaire en Syrie. Par exemple, Gilbert Achcar a réprimandé maintes fois le Président Obama pour avoir échoué à armer suffisamment l’opposition syrienne. Bien que ce dernier le nie avec véhémence depuis, il a soutenu l’intervention de l’OTAN en Libye. En mars 2011, Achcar a affirmé qu’étant donné « l’imminente menace de meurtre de masse » il était « moralement et politiquement mal pour quiconque de la gauche, de s’opposer à la zone d’exclusion aérienne » tout comme l’idée selon laquelle « les puissances occidentales interviennent en Lybie parce qu’elles veulent renverser un régime hostile à leurs intérêts » était totalement absurde. Malgré des récits de rebelles libyens attaquant sans distinction et plaçant en détention des Africains noirs, Achcar a décrit les forces de l’opposition comme étant unies « dans leur désir de démocratie et respect des droits humains ».
Il a également rejeté l’idée selon laquelle le plus gros de l’opposition serait composée d’islamistes extrémistes, affirmant qu’il s’agissait pour Kadhafi « d’essayer de gagner le soutien de l’Occident ». Sur les perspectives d’avenir une fois Kadhafi renversé, il a déclaré que « s’il n’y a pas de clarté sur ce à quoi l’après-Kadhafi ressemblera, alors cela ne peut être pire que le régime de Kadhafi ».
Ces déclarations déjà douteuses à l’époque se sont toutes avérées être complètement incorrectes. En septembre 2013, une étude de l’université de Harvard stipulait que Kadhafi n’avait pas ciblé les civils ni usé de la force sans faire de distinction, que les islamistes étaient en effet majoritaires dans les rangs des forces rebelles, que l’intervention avait non seulement accru drastiquement le nombre de victimes dans le conflit, mais aussi exacerbé « les violations des droits de l’Homme, la souffrance massive, le radicalisme islamique et la prolifération d’armes en Libye et chez ses voisins ».
Toutes ces conclusions ont été confirmées et développées trois ans plus tard par le Comité des affaires étrangères du gouvernement du Royaume-Uni dans son rapport sur l’intervention qui stipulait qu’elle avait causé « l’effondrement politique et économique, des guerres entre milices et tribus, des crises humanitaires et migratoires, largement répandu les atteintes aux droits de l’Homme, dispersé les armes du régime de Kadhafi à travers la région et permis l’essor de l’Etat islamique en Afrique du Nord ». Malheureusement, le fait de s’être à ce point trompé sur la Lybie ne semble pas avoir fait réfléchir Achcar. Malheureusement, il a tenu un discours remarquablement similaire sur la Syrie et s’y accroche obstinément.
Thomas Pierret de l’université d’Edimbourg a adopté une position similaire, explicitement pro-interventionniste. Il a appelé à plusieurs reprises une intervention américaine en Syrie. Peut-être et sans surprise, étant donné son désir fiévreux d’escalade du conflit, Pierret prend-il une position résolue en faveur de la dissolution potentielle de l’Etat syrien tout entier, arguant effrontément : « pourquoi devrions nous avoir peur de l’absence d’Etat en Syrie ? Sans Etat, la Libye s’en sort beaucoup mieux que la Syrie». Une telle attitude est probablement facile à adopter depuis le confort de l’Ecosse en comparaison à un Syrien dont la survie dépend de l’Etat ou l’un des quelque 1.8 millions de Libyens (un tiers de la population entière) qui furent forcés de fuir en Tunisie après le démantèlement de l’Etat libyen.
En plus de son investissement dans des campagnes d’intimidation comme celles décrites ci-dessus, Muhammad Idrees Ahmad, maitre de conférence à l’université de Stirling, nous a également éclairé sur la destruction de la Libye en comparant son état actuel comme étant plus favorable que celui de la Syrie, prétextant qu’il était en train « d’être réduit en cendres » par Kadhafi avant l’intervention.
Ahmad a pris une position fortement pro-interventionniste sur la Syrie. Il parcourt les réseaux sociaux avec acrimonie et étiquette fréquemment toute position ou individu avec qui il ne serait pas d’accord, notamment le magasine Jacobin et Seymour Hersh, qualifiés de fascistes. Il a aussi récemment décrit Glenn Greenwald comme étant « objectivement pro-Assad » et l’« alternative gauchiste de l’Ayatollah », le blâmant pour l’élection récente de Trump. Malheureusement les opinions d’Idrees Ahmad et les attaques envers ses adversaires ne sont que les expressions les plus tarabiscotées d’une position qui est largement soutenue dans le milieu académique occidental quant à l’intervention en Syrie.
Le mythe des experts neutres
Durant les cinq dernières années et comme l’on pouvait s’y attendre, un discours similaire a dominé le monde des « think-tanks » et des experts en matière d’affaires étrangères (ce qui est en réalité d’habitude une manœuvre impérialiste sans en porter le nom). Au cour de cette période, certains critiques sans vergogne ont réussi à se faire passer pour des spécialistes de la Syrie et de la région de manière large.
Il a été énormément déconcertant de voir tant de personnes – à la fois dans les médias et dans le monde universitaire – prêter attention aux analyses de ces partisans souvent profondément compromis, comme si elles étaient objectives.
L’une des figures les plus proéminentes à avoir bâti sa carrière sur le dos de la guerre en Syrie de cette manière est Charles Lister du Middle East Institute (un ancien de la Brookings Institution à Doha). Lister n’a jamais caché son soutien à l’intervention. Durant un certains nombre d’années, il a sournoisement éclipsé l’intervention de l’Occident en Syrie. En octobre 2015, il a soutenu que quatre ans et demi d’inaction de la part des « Etats-Unis et des pays occidentaux » en Syrie démontrait clairement à quel point « ne rien faire est souvent pire que de faire quelque chose »
Plus récemment, Lister a coécrit une tribune avec John Allen, un général à la retraite du corps des Marines des Etats-Unis, dans laquelle le duo plaidait en faveur d’une guerre contre la Russie et la Syrie. Dans un autre article plus récent dans lequel il s’attaquait à la position de Trump sur la Syrie, Lister a soutenu et sans aucune preuve, l’extraordinaire idée selon laquelle le gouvernement syrien aurait ‘méthodiquement’ mis sur pied Al-Qaïda en Irak et ensuite Daesh, de 2003 jusque 2010. Pourtant, beaucoup continuent inexplicablement – étant donné ses liens ouverts avec l’establishment américain, ses opinions en faveur de la guerre et ses fréquentes déclarations sans substance – de considérer Lister comme étant une source neutre d’expertise. C’est sans aucune surprise par contre que Yassin-Kassab a encensé et défendu Lister des critiques.
En plus de travailler pour Brookings et par la suite le Middle East Institute, Lister fait également partie de l’initiative « Track II Syria ». Durant l’évolution de son travail qui a été de son propre témoignage, « financé à 100 pourcent par les gouvernements occidentaux », Lister a de toute évidence noué des liens étroits avec des membres de nombreux groupes armés en Syrie. A certains moments, son rôle semble avoir en réalité été celui d’agent en relations publiques auprès de ces groupes et vis à vis de l’Occident en annonçant leurs changements de nom, leurs fusions et en limitant les dégâts dans leurs exercices occasionnés par leur brutale violence.
Aucun évènement n’a mieux illustré cela que la décapitation d’un jeune garçon palestinien par la brigade Nur al-Din al-Zinki en juillet 2016. Lister avait précédemment soutenu que Al-Zinki (bénéficiaire des armes et du support financier du gouvernement américain), était l’un des groupes qui avait formé les 70 000 combattants supposément ‘modérés’ en Syrie dont Cameron avait déclaré l’existence en novembre 2015. Quand des extraits de la décapitation parurent en ligne, Lister a presque immédiatement tweeté qu’il venait tout juste de parler avec le groupe et que ce dernier émettrait une déclaration y répondant sous-peu.
Plus tard durant la même journée, Lister a réitéré son avis selon lequel il était « complètement absurde » de comparer al-Zinki et d’autres groupes avec l’EI ou Al-Qaida et que cela était « complètement hors débat ». Agir ainsi juste après avoir regardé les groupes du membres railler et ensuite décapiter un enfant était choquant. D’autre part, son plan paradoxal pour considérablement « diminuer » le conflit en Syrie (écrit après le déroulement de la décapitation d’al-Zinki) était d’augmenter les expéditions d’armes à ces groupes rebelles.
Un autre analyste qui s’est montré fortement en faveur d’une intervention militaire américaine en Syrie pendant plusieurs années est un ancien collègue de Lister au Brookings Institute, Shadi Hamid. Tout comme Lister, Shamid a véhiculé maintes fois le canular selon lequel les USA ne seraient pas intervenus en Syrie ni au Moyen-Orient, prétextant qu’Obama avait adopté une politique de « laisser-faire » dans la région. Il a même affirmé que cette politique a contribué à la récente victoire électorale de Donald Trump.
En bref, Hamid – qui a tenu que l’intervention de l’OTAN en Lybie était en réalité un succès et qu’un monde meilleur n’était possible sans l’armée américaine – est l’un des plus flagrants et nuisibles propagandistes pour l’Empire américain actuel. Peu de gens représentent mieux que Hamid le portrait décrit par Edward Said du « cœur d’intellectuels enthousiastes et rassurants à propos de ces empires altruistes et chaleureux, comme si l’on ne devrait pas croire en nos yeux ». Il est effarant qu’il soit souvent considéré comme étant un expert neutre sur la Syrie et la région.
A nouveau, il est important de se souvenir que les positions en faveur de la guerre tenues pas Lister et Hamid ne sont pas uniques mais en fait largement représentatives de celles de leurs pairs, à la fois dans leurs propres institutions et dans d’autres semblables aux leurs. Hassan Hassan et Michael Weiss font partie de ces autres « experts » dont on aurait pu longuement parler à ce propos, qui ont explicitement appelé au démantèlement et à l’occupation de la Syrie par les Etats-Unis ; tout comme Emile Hokayem, du soi-disant institut indépendant des études stratégiques internationales, qui a en réalité reçu près d’un tiers de ses fonds directement de la famille dirigeante du Bahrain.
Dans un exemple frappant de cet obscurantisme dans lequel ces analystes excellent, Hoyakem a déclaré pendant qu’il était sur scène avec Charles Lister, qu’il était complètement inutile de découvrir qui subsidiait Daesh et qu’il fallait plutôt considérer l’émergence d’un tel groupe comme étant le résultat des échecs de la société du Moyen-Orient dans son ensemble. Hoyakem a même déclaré en octobre 2016 que vaincre l’Etat islamique consisterait une évolution négative pour la région.
Tout au long de cet article, j’ai délibérément identifié un certain nombre de personnes, j’ai fourni des échanges et des commentaires parus sur les réseaux sociaux et qui avaient été jusqu’ici été dissimulés avec brio au grand public.
Il y a beaucoup d’autres individus, d’incidents ou de thèmes dont j’aurais pu discuter mais que j’ai, par soucis de brièveté, choisi de limiter afin de ne me concentrer que sur les faits les plus importants.
En plus de souligner que certains de ces individus ont des connexions et attitudes inquiétantes, j’espère qu’en jetant la lumière sur ces campagnes d’intimidation et d’agression entreprises par nombre de voix importantes sur la Syrie encouragera les autres à être plus critiques sur l’analyse qu’on leur livre et à se demander qui sont réellement ceux qu’ils écoutent.
Etant donné les conséquences potentiellement désastreuses de l’augmentation de l’intervention militaire en Syrie, les enjeux ne pourraient être plus importants. Nous ne pouvons pas nous permettre que ces avis soient les seuls à être entendus dans le débat.
Louis Allday | 13 Fév 2017 | MR Online
Louis Allday is a PhD candidate at SOAS based in London.
Traduit de l’anglais par Olivier Mignon
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