Il n’a pas sa langue dans sa poche et n’a de compte à rendre à personne. Comme il est à la retraite, Jean-Pierre Petit est un de ces esprits libres qui gratte les autres là où ça fait mal. Depuis plusieurs mois,
cet ancien directeur de recherche au CNRS, interpelle l’état et les scientifiques sur les dangers d’ITER et remet en cause le développement de cette technologie coûteuse qui mène selon lui à « une impasse ». Nous n’avons pas su résister à l’envie de lui poser quelques questions. Attention, ça balance !
Gizmodo : Depuis plusieurs mois vous dénoncez sur votre site le projet ITER de fusion nucléaire civile. Vos arguments sont ils économiques ? sécuritaires ? scientifiques ? Pourquoi une telle croisade ?
Jean-Pierre Petit : Je ne suis pas le seul à soulever une masse de critiques sur le plan scientifique. Le mot « croisade » est-il approprié ? Je ne le pense pas. La critique la plus forte que l’on peut faire sur ce projet, ce sont ses assises mensongères. Mensonge par omission. Avant que je ne publie mes articles, aviez-vous vu quelque part inscrit le mot » disruption » ? J’en doute. Et il en est de même pour les politiques-décideurs, qui ont été, pour reprendre une expression de Michèle Rivasi « enfumés ».
(ndlr : Jean-Pierre Petit dénonce l’instabilité chronique des tokamaks, ces chambre de confinement magnétique destinée à contrôler un plasma pour produire de l’énergie par fusion nucléaire. le terme tokamak vient du russe « тороидальная камера с магнитными катушками » (toroïdalnaïa kamera smagnitnymi katushkami : en français, chambre toroïdale avec bobines magnétiques...)
Gizmodo : Vous pensez donc que la fusion contrôlée dans un Tokamak est une impasse scientifique ?
Jean-Pierre Petit : Je pense que la formule tokamak est une impasse. Et je ne suis pas le seul à le dire. Lisez Wurden.
Gizmodo : L’homme ne pourrait donc jamais contrôler l’énergie des étoiles ?
Jean-Pierre Petit : Le Soleil n’est pas un tokamak. Et un tokamak ne résume pas la fusion à lui tout seul. C’est la propagande du CEA qui vous a mis cela dans la tête. L’énergie de fusion fait partie de la panoplie de la physique. Affirmer qu’on ne pourra jamais extraire de l’énergie de cette façon serait absurde. Ceci étant, beaucoup de gens identifient » fusion » avec » fusion deutérium-tritium ». Il existe d’autres voies « non impossibles » comme la fusion aneutronique Bore Hydrogène. Si vous consultez Wikipedia vous pourrez lire que cette filière est présentée comme « impossible » parce que l’énergie produite par fusion, à plus d’un milliard de degrés, serait inférieure) l’énergie perdue par rayonnement (Ndlr : je n’ai pas trouvé le mot « impossible » mais « difficile » dans Wikipédia). Oui, si les températures électronique et ionique sont égales. Mais dans les Z-pinches, la température électronique est 100 fois plus faible que la température ionique. Alors cette objection tombe et cette affaire se trouve relancée. Mon ami Malcom Haines, grand spécialiste de ces questions, pense qu’une possibilité existe. Un détail qui a son importance : cette fusion Bore Hydrogène a pour déchet … de l’hélium et ne produit pratiquement pas de neutrons.
Gizmodo : Votre profil est sujet à polémiques et vos analyses ont été critiquées par le CEA qui apporte même des réponses à vos accusations. Qu’en pensez-vous ?
Jean-Pierre Petit : Quand les critiques s’expriment à voix haute, en dévoilant leur identité, l’affaire est vite réglée. En terrain découvert, je n’ai jamais perdu un combat, et cela se sait. Maintenant si vous voulez tenir compte des avis formulés sous pseudonymes… Et je n’ai pas entendu le CEA formuler des réponses crédibles à mes accusations.
Pouvez-vous accorder foi à des gens qui formulent des critiques, sur leur site, de manière anonyme, en se défilant lorsque je leur offre la possibilité d’un face à face filmé et diffusé sur le net ?
Gizmodo : L’énergie nucléaire a toujours bénéficié d’une certaine bienveillance de la part des esprits « rationnels » ou « scientifiques ». Mais depuis Fukushima, faut-il sérieusement se résoudre, à l’image des autorités allemandes, à l’abandon de cette filière ?
Jean-Pierre Petit : L’énergie nucléaire charrie avec elle des problèmes considérables. Gestion de déchets très toxiques et dangereux, de très longue durée de vie, risques d’accident grave dès qu’une installation vieillit. Risque quand des phénomènes naturels se mêlent de la partie. Il y a que cette filière est née en France sous l’impulsion de De Gaulle qui voulait la bombe A, puis la bombe H. Le nucléaire civil s’est ensuite organisé en lobby, en complexe nucléo-industriel et financier. Les projets agités en novembre à l’Assemblée Nationale, lors d’une audition d’expert, suscitée et animée par le député (socialiste) Bataille sont de la folie furieuse. La France a 60 tonnes de plutonium dans le site de la Hague. Elle en possède 240 autres tonnes ailleurs. Le projet soutenu par bataille vise à porter ce stock à mille tonnes (de quoi tuer tous les êtres humains de la planète, avec une substance qui, antérieurement à sa production par l’homme, n’existait pas dans la nature, vu que sa durée de vie est de 24.000 ans). Grâce à ce stock on pourrait alors, en 2060, commencer le déploiement de réacteurs dits de IV° génération (des surgénérateurs à neutrons rapides), qui permettraient d’assurer 5000 années d’indépendance énergétique en « brûlant » notre stock de 300.000 tonnes d’uranium 238, issu des actions d’enrichissement du minerai. Toujours selon les conclusions de cette audition, le déploiement de ces générateurs de IV° génération s’achèverait en 2100. Comment percevez-vous le fait que des hommes se réunissent pour dresser un tableau du futur énergétique avec 90 années d’avance ! Pourquoi, en 1900, des parlementaires, s’appuyant sur des dires d’experts, n’auraient-ils pas envisagé gravement le déploiement des machines à vapeur jusqu’à l’an 2000 (en incluant des projets d’avions à vapeur). Ces gens vous paraissent-ils tenir des discours raisonnables ?
Les énergies renouvelables pourraient être exploitées à très grande échelle, à condition de s’en donner les moyens. On pourrait résumer cela en disant « nos descendant nous béniront d’avoir fait ce choix ». A l’inverse ils nous maudiront si nous persistons dans la folie du nucléaire, en priorisant le critère du coût du kilowatt-heure, sans nous soucier des conséquences gravissimes et insolubles dont hériteront nos descendants dans les décennies à venir.
Les Allemands ont tenté un stockage de déchets dans une mine de sel, à Asse. 100.000 fût on été jetés dans cette mine, sans grande précaution. A l’usage il s’est avéré que cette mine subissait des infiltrations d’eau et… se déformait (10 cm par an). Conclusion : il faudra extraire ces fûts Coût estimé de l’opération : de 3 à 8 milliards d’euros….
Gizmodo : Qu’il faudra donc ajouter aux 20 milliards d’euro du projet ITER. En ces temps de disette, les contribuables apprécieront ! Merci pour vos réponses !
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Pour info, Jean-Pierre Petit distribue gratuitement et dans plusieurs langues des BD de vulgarisation scientifique via le site de son association Savoir sans frontières.
De plus, il est prêt à débattre publiquement avec des scientifiques et des responsables du CEA autour des questions évoquées dans cet article
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