Les avis ci-dessous sont rédigés à titre personnel et ne
sauraient engager ceux du groupe CCM Benchmark que je dirige (NDLA:
société éditrice des sites Journaldunet, CommentCaMarche, Linternaute,
etc.).
Le Projet
de loi relatif au Renseignement impose aux hébergeurs et FAI
d'installer un dispositif de surveillance de leurs communications,
désigné sous le terme générique "boîte noire", pour recueiller les
informations et documents "relatifs à des personnes préalablement
identifiées comme présentant une menace". Selon un article du JournalDuNet daté du 30 avril 2015,
se référant à l'article 6 de la LCEN, le terme "hébergeur" désigne
l'intermédiaire technique qui met à la disposition des tiers les outils
permettant de communiquer des informations en ligne. Il peut donc
désigner des éditeurs dès lors qu'ils mettent à disposition des espaces
de publication "participatifs", édités par les internautes (forums, réseaux sociaux, espaces de commentaires, chronique ou tribune telle que celle-ci, etc.).
Jusqu'à
ce jour, lorsque des échanges entre individus ont lieu sur un espace de
publication hébergé en France, la justice peut à tout moment demander à
l'éditeur, sur simple réquisition judiciaire, de lui fournir les
données de connexion de l'utilisateur (adresse IP et horodatage) afin de
demander l'identification de l'individu auprès de son fournisseur
d'accès. Dans la pratique, cela se pratique parfois sans réquisition
dans des cas de force majeure, en infraction avec la loi. A partir du
moment où il est de notoriété publique que les sites hébergés en France
sont équipés d'une boîte noire, il faudrait être un terroriste idiot
pour utiliser un espace de discussion hébergé dans un pays ayant
installé de tels dispositifs, alors même qu'il existe un grand nombre de
services similaires dans des pays n'en ayant pas déployé. Ainsi,
l'information qui était jusqu'ici la plupart du temps accessible risque
de devenir petit à petit inaccessible aux services de renseignement.
Il restera malgré tout une trace de la connexion chez le FAI
me direz-vous ? A partir du moment où des personnes ayant des choses à
se reprocher auront besoin de communiquer, pensez-vous qu'ils le feront à
découvert ? Evidemment non, il est à la portée de tout le monde
d'ouvrir un tunnel crypté vers une connexion située à l'étranger. Toute
communication chiffrée (y compris légalement) est dès lors suspecte, ce
qui signifie qu'il sera nécessaire de mettre en oeuvre des moyens pour
décrypter toutes les communications chiffrées afin d'en vérifier le
contenu. Les moyens de cryptologie utilisables en France sont certes soumis à une réglementation spécifique, encore faut-il qu'elle soit respectée et on imagine mal des terroristes appliquer à la lettre la réglementation française...
Ainsi,
en mettant en place un tel niveau de contrôle des communications, le
risque est de faire monter le niveau de sophistication des échanges
entre terroristes. Pour peu que la loi soit votée, on peut compter sur
le gouvernement
pour médiatiser rapidement quelques prises afin d'illustrer la
pertinence de la loi. Il est toutefois évident, à terme, que les
premières mesures des organisations terroristes consisteront à former
leurs membres aux techniques de chiffrement,
afin de devenir invisibles sur la toile, alors même que la formation
des agents de la force publique prendra des années. L'agilité joue là
encore en la faveur des extrémistes.
Il
est vrai que l'on ne peut pas rester inactifs face à la menace
terroriste, mais une solution clé-en-main basée uniquement sur le
numérique et votée en urgence est-elle la meilleure solution ? Certes le
projet de Loi permet de mieux encadrer des pratiques qui existaient
déjà sans support légal, mais cette Loi risque bien de rendre ces
pratiques plus difficiles à mettre en oeuvre, voire caduques. Enfin, sur
le fond, la réaction du public suite à l'affaire Charlie Hebdo était
sur le thème "Nous n'avons pas peur, nous continuerons à être libre".
Avec ce projet de loi, le message me semble plutôt être "Nous avons
peur, mais nous sommes prêts à être moins libres pour y remédier, quitte
à ce que cela ne serve à rien".
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire