Sanofi intimide une ONG pour démasquer un lanceur d’alerte


(Source AgoraVox)
L'association américaine à but non lucratif CREW vient de déposer une requête en annulation contre une plainte de la firme Sanofi dans le cadre d'une enquête pour pratiques anticoncurrentielles. L'objectif de CREW est de faire cesser des pratiques d'intimidation et de préserver l'identité d'un lanceur d'alerte que le géant pharmaceutique veut démasquer.

Aux Etats-Unis, CREW (Citizen for Responsibility and Ethics in Washington) est une association à but non lucratif "poil à gratter" qui s'assure que le gouvernement se comporte d'une manière honnête, régulière et éthique. Selon leur site internet, CREW mène des investigations poussées couplées à une stratégie de communication agressive. Ils oeuvrent également comme un groupe de pression pour favoriser la transparence.

Bien que n'ayant aucun lien direct avec un procès en cours ("Castro, et al. v. Sanofi Pasteur Inc."), CREW a demandé à la FTC (Federal Trade Commission) d'investiguer les pratiques anticoncurrentielles de Sanofi et de Merck pour empêcher des médecins qui achetaient certains de leur vaccins pour enfants, de s'approvisionner auprès d'autres fournisseurs. (Les vaccins sont délivrés et facturés directement par le médecin). Ce ne fut pas du goût de la firme pharmaceutique qui décida de lacher les chiens contre cette association.

Initialement, CREW avait demandé en 2010 à la FTC d'agir après avoir reçu des documents d'un lanceur d'alerte directement impliqué dans cette affaire... CREW a ensuite renvoyé un courrier en mars 2012. Peu de temps après, un groupe de médecin indépendant de CREW a décidé d'attaquer Sanofi en justice.
Visiblement agacé par CREW, Sanofi a engagé un prestigieux cabinet d'avocats new-yorkais pour attaquer CREW et l'épuiser financièrement. Rappelons que le coût d'un procès aux Etats-Unis est sans commune mesure très supérieur à un procès en France.

Selon CREW, Sanofi a fait pression pour les contraindre à dévoiler leurs contacts au sein des médias et de la FTC. Sanofi cherche également à récupérer auprès de CREW des documents qui lui auraient été transmis par d'autres firmes pharmaceutiques (Novartis, GSK, Merck, Navigant et AAI). Toujours selon CREW, l'un des objectifs de Sanofi par ces actions d'intimidation est également de les contraindre à révéler l'identité du lanceur d'alerte.

Les pièces du dossier sont disponibles ici. On y apprend notamment d'après le lanceur d'alerte que Sanofi a mis en place ces accords d'exclusivités commerciales pour "compenser des ventes décevantes".

Cette démarche de Sanofi est intéressante à plus d'un titre. Tout d'abord, la firme nuit à la liberté de prescription du corps médical en le contraignant par des pratiques d'exclusivité. N'est-ce pas au médecin de choisir au cas par cas quel médicament ou dans ce cas précis quel vaccin il souhaite administrer, en fonction de son efficacité, de sa tolérance, du patient et de l'offre sur le marché ? Ce manquement patent à l'éthique médicale est d'autant plus insultant qu'il revient à considérer l'acte de prescription comme un simple acte commercial. Sanofi utilise dans le domaine de la santé des pratiques anticoncurrentielles dignes d'un opérateur téléphonique.

Ces accords mis en place par Sanofi constituent par ailleurs un manque de chance pour le patient qui en toute bonne foi se trouve au coeur d'une négociation commerciale entre son médecin et la firme pharmaceutique, indépendamment du vaccin qui lui serait le plus adapté.

Elle montre également les pratiques de Goliath contre David, visant à utiliser des moyens démesurés pour décourager et faire taire toute menace qui pèserait sur ses intérêts financiers. Rappelons que le budget de fonctionnement de l'association CREW est de 2,8 millions de dollars, un budget qui serait vite consommé dans en cas "d'actions judiciaires d'épuisement" menées par la première capitalisation du CAC 40.


Enfin, cette histoire américaine est riche d'enseignements à l'heure où en France on se penche sur des projets de loi pour protéger les lanceurs d'alerte contre certaines multinationales aux pratiques douteuses, Big Pharma en tête.

Sources :

Pharmaceutical Giant Sanofi Pasteur Seeks to Muzzle CREW from Speaking Out, CREW (Citizen for Responsibility and Ethics in Washington), 03/12/2012

Assignation en justice de CREW par Sanofi, document original, CREW, 29/11/2012

Are doctors giving patients the best vaccines or the vaccines with the best prices ?, CREW, 06/07/2010

Courrier du 06/07/2010, CREW, 06/07/2010

CREW with advocacy groups ask FTC to investigate anti-competitive practices of vaccine makers, CREW, 19/03/2012

courrier du 19/03/2012, CREW, 19/03/2012

Pièces du dossier, CREW, 29/11/2012

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