L’hystérie actuelle qui engloutit le parti travailliste britannique se base sur deux prémisses interdépendantes, quoique discrètes : l’antisémitisme dans la société britannique en général, et au sein du parti travailliste en particulier, aurait atteint des proportions critiques. Si aucune de ces prémisses ne peut être admise, alors cette hystérie est une pure fabrication. En réalité, aucun élément de preuve n’a été fourni pour étayer l’une ou l’autre ; au contraire, toutes les preuves vont dans la direction opposée. La conclusion rationnelle est que tout ce brouhaha n’est qu’une mystification calculée –oserons-nous dire un complot ?– visant à chasser de la vie publique britannique Jeremy Corbyn et la politique de gauche attachée à des principes qu’il représente. Mais même si les allégations à son encontre étaient vraies, la solution ne serait pas de limiter la liberté de pensée au sein du parti travailliste. À son apogée, la tradition de la gauche libérale a attaché une valeur unique et primordiale à la Vérité ; mais la vérité ne peut pas être connue si les dissidents, si odieux qu’ils soient, sont réduits au silence. Du fait de l’histoire lourde de l’antisémitisme, d’une part, et de sa manipulation éhontée par les élites juives, d’autre part, une appréciation objective et sans parti pris peut sembler irréalisable. Mais il faut tout de même essayer. Sinon, la perspective d’une victoire historique de la gauche pourrait être sabotée, car jusqu’à présent, les partisans de Corbyn, que ce soit par crainte, calcul ou souci du politiquement correct, n’osent pas désigner le mal qui se trame par son nom.
Le degré d’antisémitisme qui infecte la société britannique a fait l’objet de nombreux sondages sur une période prolongée. Ces enquêtes ont conclu de manière uniforme, cohérente et sans ambiguïté que l’antisémitisme (1) est depuis longtemps un phénomène marginal dans la société britannique, touchant moins de 10% de la population, (2) est beaucoup moins saillant que l’hostilité envers les autres minorités britanniques, et (3) est moins prononcé au Royaume-Uni que presque partout ailleurs en Europe. On pourrait supposer que ces données règlent la question. Mais en 2017, l’Institut Britannique de Recherche sur les Politiques Juives (RPJ) a publié une étude qui prétend affiner les idées reçues en mesurant « l’élasticité » de l’antisémitisme, c’est-à-dire en mesurant non seulement le pourcentage d’antisémites confirmés, mais également la prégnance des stéréotypes qui stigmatisent les Juifs [1]. Cette étude a conclu que bien que l’on ne puisse considérer que 2 à 5% de la population britannique comme antisémite, 30% nourrissent au moins un stéréotype antisémite.
Avant d’analyser les données de l’étude, deux truismes doivent être rappelés. Premièrement, une généralisation est quelque chose qui est généralement considéré comme vrai, mais comporte évidemment des exceptions. Bien que le riche propriétaire d’usine Engels ait généreusement subventionné son impécunieux camarade, cela n’a pas empêché Marx de faire des généralisations sur les « vampires » capitalistes. Sans la valeur heuristique des généralisations larges, la sociologie en tant que discipline devrait mettre la clé sous la porte. Son mandat est de cartographier et de prédire le comportement, dans l’ensemble et globalement, des multiples groupes et sous-groupes transversaux qui composent la société.Deuxièmement, chaque groupe national ou ethnique est sujet à des généralisations: « Les Français sont… », « Les Italiens sont… », « Les Allemands sont… », etc. Ces généralisations vont du plus ou moins flatteur au plus ouvertement malveillant, du plus ou moins vrai à l’absolument faux. Il devrait également être évident que si la plupart des généralisations positives ne soulèvent aucun problème, il devrait en aller de même pour les plus négatives. Le fait que les stéréotypes sur les Juifs couvrent toute la gamme n’est guère alarmant ; il serait surprenant qu’il en aille autrement.
En fait, le RPJ ne tire pas la sonnette d’alarme. Alors que certains colporteurs d’antisémitisme se sont accrochés à ses conclusions, les chercheurs eux-mêmes cherchaient à répondre à une question différente : « Pourquoi les niveaux d’anxiété élevés constatés au sein de la population juive britannique du fait de l’antisémitisme contemporain semblent-ils si peu en accord avec les faibles niveaux de sentiment antisémite observés au sein de la population générale du Royaume-Uni ? » [2] L’étude avance que si les Juifs britanniques expriment une profonde anxiété alors même que les antisémites sont, comme le dodo, en voie d’extinction, cela émane donc de la « diffusion » plus large dans la société britannique de stéréotypes antisémites : « Cette diffusion contribue grandement à expliquer les inquiétudes contemporaines des Juifs causées par l’antisémitisme » [3]. Mais n’est-ce pas là une inférence hâtive ? Si les habitants de Salem, dans le Massachusetts, éprouvaient une profonde anxiété causée par les sorcières ; si les Américains éprouvaient une profonde anxiété causée par les communistes ; si les sudistes blancs éprouvaient une profonde anxiété causée par les violeurs noirs ; si les Allemands ressentaient une profonde anxiété causée par une conspiration « judéo-bolchevique » ; et si, à ce sujet, les chrétiens éprouvaient une profonde anxiété causée par les meurtres rituels d’enfants commis par les Juifs… Faut-il en déduire que toutes ces craintes étaient fondées ? Si une anxiété est généralisée, il ne s’ensuit pas nécessairement, ni même probablement, que c’est une peur rationnelle. Elle pourrait tout aussi bien avoir été induite par des forces sociales puissantes qui bénéficieraient d’une paranoïa délibérément créée. Ou, dans le cas présent, cela pourrait découler de bien d’autres choses, d’une hypersensibilité juive –tout à fait compréhensible à la lumière de l’expérience historique– à un antisémitisme fantôme (cf. le film
Annie Hall de Woody Allen).
L’étude du RPJ compile une liste de sept stéréotypes. Selon ces chercheurs, si ces stéréotypes sont jugés antisémites, c’est parce que les Juifs les trouvent blessants : « Certaines idées sont réputées antisémites chez les Juifs, et cette étude adopte une perspective juive sur ce qui constitue l’antisémitisme. » [4] Mais une généralisation peut clairement être à la fois blessante et vraie, car la vérité est souvent une pilule amère à avaler. Si la généralisation blessante est vraie, alors, dans la mesure où l’épithète antisémite ne s’applique qu’à une animosité irrationnelle, elle ne peut pas être antisémite. Il y a une vingtaine d’années, Daniel Jonah Goldhagen a écrit un livre prétendant que l’holocauste nazi avait pour origine une prédisposition allemande à tuer des Juifs. Si elle était vraie, sa thèse ne pourrait pas être qualifiée d’anti-Teutonique : « Il n’y a pas de raison prima facie de rejeter la thèse de Goldhagen », ai-je observé à l’époque. « Elle n’est pas intrinsèquement raciste ou illégitime. Il n’y a pas de raison évidente pour laquelle une culture ne pourrait pas être fanatiquement consumée par la haine. » Même si les Allemands peuvent être horrifiés face à cette description de leur peuple, et même la trouver singulièrement choquante, si les faits la justifiaient, alors on ne pourrait pas affirmer qu’elle soit enracinée dans une malveillance irrationnelle. En l’occurrence, les preuves apportées par Goldhagen ne pouvaient pas soutenir sa thèse, mais c’est une autre question.
Considérons maintenant plusieurs des stéréotypes rassemblés dans l’étude du RPJ pour évaluer la prévalence de l’antisémitisme britannique :
Les Juifs pensent qu’ils sont meilleurs que les autres. Entre leur succès séculier d’une part, et leur caractère théologique de « peuple élu » d’autre part, les Juifs eux-mêmes croient en la supériorité de leur groupe. N’est-ce pas la raison pour laquelle ils tirent une immense vanité des origines juives des figures fondatrices de la modernité –Marx, Einstein et Freud– ainsi que des 20% de lauréats Juifs du prix Nobel ? Ce qu’un enfant Juif hérite, ce n’est « pas un corps de loi, pas un corpus d’apprentissage, pas un langage et en fin de compte pas un Seigneur », a déclaré l’éminent romancier Juif Philip Roth, « mais une sorte de psychologie qui peut être résumée en ces quelques mots : « Les Juifs sont supérieurs aux autres ». Un éminent universitaire Juif-Américain a écrit sans vergogne : « Les Juifs auraient été moins qu’humains s’ils avaient évité toute notion de supériorité », et « il est extraordinairement difficile pour les Juifs Américains de se départir complètement de leur sentiment de supériorité, quels que soient les efforts qu’ils fassent pour cela. » [6] Une publication américaine populaire, dans un article intitulé « Les Juifs sont-ils plus intelligents ? », a étudié les preuves génétiques de cette supériorité [7]. De peur que cela ne soit catalogué comme une suffisance propre aux Juifs Américains, l’éminent auteur Anglo-Juif Howard Jacobson considère qu’au cœur de l’antisémitisme se trouve le ressentiment des Gentils face à l’intelligence juive : « Freud soutient que les Juifs… ont sur-évolué leur côté mental et intellectuel… Nous avons tous nos arrogances et c’est là une arrogance juive. Mais l’idée que le Juif est trop évolué mentalement est l’une des raisons pour lesquelles l’humanité est constamment en conflit avec nous. Nous avons donné au monde l’éthique, la morale, la vie mentale, et le monde physique ne nous le pardonnera jamais. » [8] [Cf. également, pour la France, « le génie du judaïsme »
célébré par l’inénarrable Bernard Henri-Lévy, « ce qu’il ajoute au monde ; de quoi il enrichit le reste de l’humanité ; cette part de poésie et de beauté, ce sens de l’éthique, ce sens de l’humain, dont les humains seraient amputés si, ce qu’à Dieu ne plaise, il n’y avait tout à coup plus de Juifs… Le Juif c’est comme un petit fantôme qui accompagne les nations en secret dans leur long cheminement, dans leur rencontre avec elle-même, peut-être dans leur épanouissement ou leur rédemption… [C’est ce] sable qui se mêlerait au limon des nations pour en conjurer la ténèbre [
sic], la lourdeur, la part nocturne et dangereuse. C’est le vrai sens de l’élection. Elu, en hébreu, veut dire littéralement trésor. Et je crois que la singularité juive est le trésor secret des nations. » Ou encore les Juifs «
à l’avant-garde de la République et de ses valeurs » pour Manuel Valls, etc.] Si c’est de l’antisémitisme que de croire que « Les Juifs pensent qu’ils sont meilleurs que les autres », alors il semblerait que la majorité des Juifs soient infectés par ce virus.
Les Juifs exploitent la victimisation de l’Holocauste à leurs propres fins. Le volubile chef de la diplomatie israélienne, Abba Eban, aurait plaisanté : « Il n’y a pas de business plus rentable que celui de la Shoah ». Mais lorsque j’ai publié en 2000 un petit livre intituléL’industrie de la Shoah: Réflexions sur l’exploitation de la souffrance des Juifs [9], j’ai subi un torrent d’attaques ad hominem. « Il est peut-être trop facile de balayer d’un revers de main un critique comme Finkelstein en le présentant comme un Juif ayant la haine de soi », a déclaré Jonathan Freedland dans le Guardian, mais cela ne l’a pas empêché de s’engager à son tour sur cette voie sordide : « Finkelstein fait le travail des antisémites pour eux », et de fait, « il est plus proche des gens qui ont créé l’Holocauste que de ceux qui ont subi » [10]. Sans surprise, Freedland fait maintenant partie des personnes qui mènent la charge contre l’antisémitisme présumé de Corbyn. Quoi qu’il en soit, près de deux décennies se sont écoulées depuis la réception hostile de mon livre, et sa teneur ne fait même plus froncer les sourcils car elle est devenue un truisme. Que ce soit pour justifier une autre guerre d’agression ou un autre massacre de civils, que ce soit pour commercialiser un autre navet sur l’Holocauste, ou un autre roman insipide sur l’Holocauste, les Juifs n’ont pas hésité à se draper du manteau sacré du martyre, bien au contraire. Un livre de l’ancien Président du parlement israélien Avraham Burg dénonçant la fixation israélienne sur l’Holocauste parle de « l’industrie de la Shoah » ; elle « convertit la douleur atroce en fausseté et en kitsch », observe Burg, et atténue les crimes israéliens : « Les Juifs Américains, comme les Israéliens… élèvent la bannière de la Shoah haut dans le ciel et l’exploitent politiquement… Tout est comparé à la Shoah, éclipsé par la Shoah, et par conséquent tout est permis –que ce soit des clôtures, des blocus… la privation de nourriture et d’eau… Tout est permis parce que nous avons subi la Shoah, donc personne n’a à nous dire ce qu’on peut ou ne peut pas faire. » [11] Burg est-il coupable d’antisémitisme ?
Les Juifs ont trop de pouvoir en Grande-Bretagne. Les trois britanniques les plus riches sont Juifs [12]. Les Juifs ne représentent que 0,5% de la population mais 20% des 100 britanniques les plus riches. [13] Par rapport à la population générale et à d’autres groupes ethno-religieux, dans l’ensemble, les Juifs britanniques sont infiniment plus riches, plus instruits et réussissent mieux leur vie professionnelle [14]. De telles disproportions se retrouvent ailleurs. Aux Etats-Unis, les Juifs ne représentent que 2% de la population, mais 30% des 100 Américains les plus riches, tandis que les Juifs bénéficient du revenu par foyer le plus élevé parmi les groupes religieux. [15] Les Juifs représentent moins de 0,2% de la population mondiale, mais, parmi les 200 personnes les plus riches du monde, 20% sont Juifs [16]. Les Juifs sont organisés de manière incomparable car ils ont créé une pléthore d’organisations communautaires et de défense interdépendantes, imbriquées et se renforçant mutuellement, qui opèrent à la fois dans les arènes nationales et internationales. Dans de nombreux pays, notamment les États-Unis et le Royaume-Uni [et la France], les Juifs occupent des positions stratégiques dans l’industrie du divertissement, les arts, l’édition, les revues d’opinion, le monde universitaire, la profession juridique et le gouvernement. « Les Juifs sont représentés en Grande-Bretagne en nombre plusieurs fois supérieur à leur population », note Anshel Pfeffer, journaliste anglo-israélien, « dans les deux Chambres du Parlement, sur le classement des hommes les plus riches fait par le
Sunday Times, dans les médias, le monde universitaire, les professions libérales et sur toutes les marches de la vie publique. » [17] Il serait extraordinaire que ces données brutes ne se traduisent pas par un pouvoir politique juif hors normes. L’Institut de planification politique de la population juive, basé en Israël, s’extasie du fait que « le peuple juif d’aujourd’hui est à un zénith historique de la création de richesse » et « n’a jamais été aussi puissant que maintenant ». Il est certainement légitime de sonder l’amplitude de ce pouvoir et d’établir s’il a été exagéré [19], mais il ne peut être acceptable de nier (ou de supprimer) des faits socio-économiques ayant une importance critique. Lorsque presque tous les membres du Congrès américain agissent comme un diable à ressort cassé, et donnent à un chef d’Etat israélien –qui a fait irruption au Capitole dans un défi effronté et odieux au Président américain– une ovation après une autre, il est sûrement naturel de demander : Mais qu’est-ce qui se passe ici ? [20] [Sans parler de la toute-puissance du CRIF en France, le seul pays à pénaliser l’appel au boycott d’Israël, à autoriser et protéger la Ligue de Défense Juive, milice terroriste interdite aux Etats-Unis et en Israël mêmes, etc., etc., etc.] Sans le pouvoir démesuré des Juifs au Royaume-Uni, il est difficile d’imaginer que la société britannique se serait lancée dans une interminable chasse au
hobgoblin. Certes, bien que la lutte contre l’antisémitisme soit le cri de ralliement, un large éventail de forces sociales puissantes et bien enracinées, œuvrant pour un agenda qui n’est pas si caché que ça, se sont unies autour de cette cause putative. On ne peut toutefois pas nier que les organisations juives constituent le fer de cette lance empoisonnée.
On pourrait encore se demander : Mais n’est-ce pas là « trop » de pouvoir ? Considérez ces faits. Jeremy Corbyn est le chef démocratiquement élu du parti travailliste. Sa montée en puissance a considérablement élargi et galvanisé les rangs du parti. Corbyn a consacré sa vie à la lutte contre le racisme. Comme pour la
chanson d’hommage à
Joe Hill, le militant du parti des ouvriers, on peut dire que
là où les travailleurs font la grève et s’organisent, c’est là que vous trouverez [Jeremy Corbyn]. Selon les normes britanniques et même mondialesde leadership, il fait figure de saint. Du côté opposé, des corps juifs non élus pour la plupart [21] ont traîné le nom de Corbyn dans la boue, le calomniant et le diffamant. Ils ont refusé de rencontrer Corbyn, même s’il a à plusieurs reprises tendu ses rameaux d’olivier et proposé des compromis substantiels [22]. Au lieu de cela, ils donnent des ultimatums à prendre ou à laisser. En réalité, la majorité des Juifs ne soutiennent pas les travaillistes, même lorsque la tête de liste du parti est un Juif (Ed Miliband en 2015). Néanmoins, ces dirigeants communautaires hypocrites et grandiloquents ne trouvent pas inconvenant ou même inapproprié de dicter de loin et d’en haut au parti travailliste sa politique interne. Ma défunte mère écrivait: « Ce n’est pas un hasard si les Juifs ont inventé le mot
Chutzpah. » Le motif transparent de cette campagne cynique est de diaboliser Corbyn, non pas parce que c’est « un putain d’antisémite », mais parce que c’est un champion intègre des droits des Palestiniens. Cependant, la candidature de Corbyn ne concerne pas seulement la Palestine ou même les classes ouvrières britanniques. C’est un phare pour les sans-logis, les affamés et les désespérés, les méprisés, les opprimés et les démunis, partout où ils se trouvent. Si les calomniateurs de Corbyn réussissent, la lueur de possibilité qu’il a fait jaillir et entretenue sera étouffée par une bande de maîtres-chanteurs et d’extorqueurs. Est-ce de l’antisémitisme de croire que « les Juifs ont trop de pouvoir en Grande-Bretagne » – ou est-ce simplement du bon sens? (Certes, et c’est là une question distincte qui n’a pas de solution simple, on peut se demander comment il serait possible de remédier à cette inégalité de pouvoir sans empiéter sur les droits démocratiques de quiconque.) Malgré tout, n’est-il pas antisémite de généraliser que les « Juifs » ont abusé de leur pouvoir ? Mais même en admettant qu’une partie ait été manipulée ou dupée, il semble clair que les Juifs britanniques en général soutiennent le rouleau compresseur anti-Corbyn. Si c’est vraiment un malentendu, de qui est-ce la faute ? Le message tacite de l’éditorial commun sans précédent publié en première page des principaux périodiques juifs était le suivant :
Les Juifs britanniques sont unis – Corbyn doit partir ! Est-il antisémite de prendre ces organisations juives au mot ?
Le résultat de tout cela est que l’étude du RPJ ne prouve pas « l’élasticité » de l’antisémitisme dans la société britannique. Deux des propositions incendiaires qu’elle éprouve sont sans doute porteuses d’antisémitisme –L’Holocauste est un mythe,L’Holocauste a été exagéré– mais seule une infime partie des britanniques (respectivement 2 et 4%) y adhèrent. L’antisémitisme existe bien sûr dans la société britannique, mais le RPJ a ratissé ses « preuves » de manière beaucoup trop large et ne saurait être pris au sérieux. Il n’y a aucune raison de douter des données des sondages conventionnels qui estiment l’incidence de l’antisémitisme à moins de 10% de la société britannique.
Même si l’étude du RPJ pouvait résister à un examen sérieux, elle ne prouverait toujours pas que l’antisémitisme menace les Juifs britanniques. Face au spectacle nauséabond et incessant du nombrilisme solipsiste et narcissique et de l’auto-apitoiement, un examen objectif de la situation s’impose. Si les stéréotypes populaires étaient représentés sur un spectre allant de l’inoffensif au malveillant, la plupart des stéréotypes antisémites seraient proches de l’inoffensif, alors que les stéréotypes touchant les minorités véritablement opprimées se retrouveraient à l’extrémité opposée. Oui, les Juifs doivent subir la réputation d’être radins, arrivistes et claniques –mais les musulmans sont catalogués comme des terroristes et des misogynes, les Noirs sont méprisés comme des fainéants chroniques et génétiquement stupides, et les Roms / Sinté sont honnis comme de vils mendiants et voleurs. Les Juifs ne subissent pas non plus les maux causés par la véritable oppression. Combien de Juifs, en tant que Juifs, se sont vu refuser un emploi ou un appartement ? Combien de Juifs ont été abattus par la police ou jetés en prison ? Alors qu’être noir ou musulman ferme les portes, être Juif les ouvre. S’il est établi que les Blancs occupant des postes de pouvoir discriminent en faveur d’autres Blancs et que les hommes occupant des postes de pouvoir discriminent en faveur d’autres hommes, il serait surprenant que des Juifs ayant largement réussi ne discriminent pas en faveur d’autres Juifs. Non seulement n’est-ce plus un handicap social que d’être Juif, cela a même un certain cachet social. Alors que jadis, c’était un pas en avant pour un Juif que de se marier dans une famille de l’élite dirigeante, cela semble maintenant être un pas en avant pour l’élite dirigeante de se marier dans une famille juive. N’est-ce pas un indice fort que la prunelle des yeux du Président Bill Clinton, sa fille Chelsea, et la prunelle des yeux du Président Donald Trump, sa fille Ivanka, aient épousé des Juifs ? Faisant le tour des plateaux télévisés britanniques, Barnaby Raine, une autorité autoproclamée, grimace : « Il y a un très grave problème d’antisémitisme dans la société britannique » (Hormis le fait qu’il soit un « fier Juif britannique » et qu’un jour, quelqu’un l’ait traité de « youpin », il est difficile de trouver un fondement à ses pronunciamentos catégoriques.) Bertrand Russell a un jour écrit à propos de Trotsky : « Il est très beau et a d’admirables cheveux ondulés ; on sent qu’il serait irrésistible pour les femmes. » On peut dire quelque chose de semblable, plus ou moins, de Barnaby le Bolchevik –ou du moins de l’idéal auquel il aspire. La question se résume alors à cela : Préférerait-il être laid et chauve ou être Juif en Grande-Bretagne aujourd’hui ? Ce n’est pas une question triviale ou ironique. Le fait est que personnellement et professionnellement, ces stigmates physiques sont une croix dix fois plus lourde à porter que de naître Juif. Si le non-problème de l’antisémitisme est classé comme un « problème très grave » au Royaume-Uni, alors les Britanniques ont beaucoup de chance. De fait, si c’était vraiment le cas, la candidature de Corbyn serait redondante car ils auraient déjà tous fui vers la Terre Promise.
« Ceux qui ne peuvent pas se souvenir du passé sont condamnés à le reproduire ». Tel est l’avertissement célèbre de George Santayana. À la lumière de la catastrophe qu’ils ont subie pendant la Seconde Guerre mondiale, les Juifs ne devraient-ils pas envisager le pire et s’y préparer ? Peut-on vraiment leur reprocher une hypervigilance ? Même si les indicateurs sont très faibles pour l’instant, peut-on nier qu’il est à tout le moins possible que cela se reproduise ici ? Si la disponibilité des ressources, du temps et de l’énergie était infinie, un tel argument pourrait entraîner la conviction. Mais ce n’est pas le cas. « L’économie de temps », a observé Marx dans les Grundrisse, « c’est à cela que toute économie se réduit ultimement.» Tout le temps dépensé dans une direction est autant de temps en moins pour les autres directions. Peut-on sérieusement affirmer que face aux multiples crises nationales et mondiales qui déchirent la société britannique –les sans-logis, la sécurité sociale, le chômage, le Brexit, la prolifération nucléaire, le changement climatique…–, l’antisémitisme occupe une place importante dans les affaires urgentes qui requièrent une attention immédiate ? Ou que les ressources limitées dont dispose la Grande-Bretagne pour lutter contre ces problèmes de vie et de mort devraient plutôt être réorientées vers la lutte contre de vagues futurs scénarios apocalyptiques ? Mais la vérité est que les élites juives ne croient pas un seul instant que l’antisémitisme est une question brûlante. S’ils craignaient vraiment qu’il soit un danger clair et présent maintenant ou dans un avenir prévisible, ils ne crieraient pas sur les toits que Corbyn est un « putain d’antisémite ». Car si le Royaume-Uni regorgeait véritablement d’antisémites refoulés, en toute logique, la diffusion de cette accusation ferait de la publicité gratuite à Corbyn, car ce serait une douce musique aux oreilles des électeurs potentiels. Loin de l’endommager, sa diffusion ne pourrait que faciliter la victoire de Corbyn et ouvrir la voie à un second Holocauste. Au contraire, les organisations juives savent très bien que dénigrer Corbyn en tant qu’antisémite réduira considérablement son attrait, car l’antisémitisme ne résonne que parmi les antédiluviens, les troglodytes et les tarés. En d’autres termes, la preuve irréfutable que les lyncheurs de Corbyn ne croient pas un mot de ce qu’ils disent, c’est qu’en le qualifiant d’antisémite, ils espèrent et s’attendent à l’isoler. Cependant, étant donné que l’accusation est manifestement une manœuvre de diversion, il est également possible que l’hystérie actuelle passe complètement au-dessus de la plupart des gens, non pas parce qu’ils ne se préoccupent pas de l’antisémitisme, mais parce que sa prévalence leur parait infinitésimale. Si la controverse a un effet, elle se limitera à exacerber les divisions au sein de la direction du parti travailliste, et peut-être aussi à généraliser davantage la perception que les histoires promues par les médias grand public sont de « fausses informations ».
Norman Finkelstein
* L’auteur est très reconnaissant à Noam Chomsky, Maren Hackmann-Mahajan, Deborah Maccoby, Colin Robinson et Jamie Stern-Weiner pour plusieurs références et contributions critiques.
[1] L. Daniel Staetsky, Antisémitisme en Grande-Bretagne contemporaine : Une étude des attitudes à l’égard des Juifs et d’Israël, Institute for Jewish Policy Research, 2017.
[2] Ibid., p. 11.
[3] Ibid., p. 25.
[4] Ibid., p. 21.
[5] Norman G. Finkelstein et Ruth Bettina Birn, Une nation en procès : la thèse de Goldhagen et la vérité historique, New York, 1998, pp. 6-7.
[6] Charles Silberman, Un certain peuple : les Juifs américains et leur vie aujourd’hui, New York, 1985, pp. 78, 80, 81 (citant Roth).
[7] New York Magazine, 24 octobre 2005.
[8] Liam Hoare, « Short-Listed for the Booker, Jacobson’s New Book is Judenrein », Times of Israel, 21 septembre 2014.
[9] Norman G. Finkelstein, L’industrie de l’Holocauste: Réflexions sur l’exploitation de la souffrance des Juifs, New York et Londres, 2000.
[10] Jonathan Freedland, « Un ennemi du peuple », The Guardian, 13 juillet 2000.
[11] Avraham Burg, L’Holocauste est terminé. Nous devons renaître de ses cendres, New York, 2008, pp. 5, 17, 41, 78.
[12] « Jewish Brothers Top Britain’s 2016 Rich List », Times of Israel, 24 avril 2016.
[13] Sandy Rashty, « Les Juifs les plus riches de Grande-Bretagne sont nés à l’étranger, révèle une liste des hommes les plus riches », Jewish Chronicle, 15 mai 2014.
[14] David Graham et al., « Les Juifs en Grande-Bretagne: un aperçu du recensement de 2001 », RPJ, 2007, pp. 5-7, 75, 100. Cf. Simonetta Longhi et Lucinda Platt, « Écarts de rémunération entre les domaines de l’égalité : une analyse des écarts de salaires et des pénalités salariales selon le sexe, l’ethnicité, la religion, le handicap, l’orientation sexuelle et l’âge », Rapport de recherche 9 de la CEDH, Hiver 2008 ; Panel national sur l’égalité,Anatomie de l’inégalité économique au Royaume-Uni: Rapport du Panel sur l’égalité nationale, 2010, pp. 102, 132, 149, 227-29, 390 ; Karen Rowlingson, « Inégalité de la richesse : faits essentiels », Commission de la politique de distribution de la richesse de l’Université de Birmingham , 2012, p. 19.
[15] Hamilton Nolan, « The Forbes 400: A Demographic Breakdown », Gawker, 23 septembre 2010 ; David Masci, « Comment le revenu varie parmi les groupes religieux américains », Pew Research Center, 2016.
[16] « Les Juifs représentent 19% de la liste des 200 personnes les plus riches au monde deForbes », Jewish Business News, 7 mars 2018.
[17] Anshel Pfeffer, « Le rapport sur l’antisémitisme au Royaume-Uni met en lumière une tendance troublante chez les Juifs britanniques », Haaretz, 14 janvier 2015.
[18] Institut de planification de la politique du peuple juif, 2030 : Futurs alternatifs pour le peuple juif, Jérusalem, 2010, pp. 18, 19.
[19] Norman G. Finkelstein, Trop en savoir : Pourquoi la romance juive américaine avec Israël touche à sa fin, New York, 2012, pp. 45-84.
[22] Len McCluskey, « Corbyn a répondu aux préoccupations concernant l’antisémitisme, mais les dirigeants de la communauté juive refusent de considérer « oui » comme une réponse», HuffPost, 16 août 2018.